Dix repas peints dans la vie du Christ. 1/10

 À table ! 

 

Après avoir partagé la séquence trois ans et plus de sept fois avec des élèves de seconde et première, je propose ici le fruit de mes petites expériences sur la peinture, l’art & la foi, en dix repas peints dans la vie du Christ.



Menu n°1

  1. Entrée dans une nature morte

  2. Hors d’œuvre mis en commun

  3. Plat assaisonné par le prof

  4. Boisson mystique de Jean et Paul

  5. Dessert d’autres auteurs

  6. Digestif de sagesse



1/ Entrée dans une nature morte

 


 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour entrer dans une œuvre je demande à mes élèves de faire silence dans un premier temps, c’est une démarche qui ne peut se faire que seul car il faut utiliser ses sens pour pénétrer la matière. Il faut commencer par cette étape pour éviter toute influence extérieure et entendre ses sens. On peut échanger plus tard mais tant qu’on a rien à dire c’est sans intérêt, parce qu’on a pas senti soi-même.

  1. Pour entrer donc il faut s’imaginer Tom Pouce qui rétrécit au point de se déplacer sur la table comme dans un vaste monde, souris qui va fureter entre les objets, jeu vidéo où l’espace virtuel se crée au fur et à mesure que l’on progresse. On peut fermer les yeux pour « voir », si mentalement on se souvient de la place de chaque objet… Je ne passe pas au temps n°2 tant qu’il n’y a pas eu un instant de silence total.

  2. Ensuite on note, sans fard ni vanité, justement, quel sentiment résonne, quelle sensation le tableau laisse-t-il en moi ? On a le droit de ne rien ressentir. Il s’agit ici de ce qui n’est pas discutable car vécu tel quel, non calculé, ce que mon in-/sub-conscient me dit.

  3. Enfin on peut donner sens au tableau : quelle signification ce tableau a-t-il pour moi ? Outre l’identité, le temps et l’espace de la création du tableau, le cartel du tableau, que me dit ma raison, ma culture, mon intelligence sur cette œuvre ? On a le droit de ne rien avoir à dire.

  4. Des questions vont alors sans doute résonner et me mettre en recherche de fond, de plus profond que la simple description d’un catalogue de dates/lieux qui donne au salon une illusion de culture.

 

2/ Hors d’œuvre mis en commun

 


Cette deuxième étape commence par un brain storming au tableau. C’est là qu’on échange et dispute. Occasion de bouger et faire du bruit après la pause imposée, insupportable silence pour certains (!), la tempête après le calme, exercice difficile tant la bouche tend à bouger et l’esprit à divaguer sur tout sauf sur l’essentiel, l’essence des choses. C’est un amusant contraste avec ce que signifie l e hors d’œuvre - un plat léger servi en début de repas, de mets délicats servis en petites pièces -quand on voit les élèves se ruer sur le tableau bruyamment pour écrire des banalités au départ. Ce sont toujours ceux qui n’ont rien à dire qui commencent, les plus lourdauds qui se montrent, c’est l’occasion pour les petits caïds de faire les malins et au prof de les remettre à leur place, il faut du temps pour que les timides osent se montrer intelligents, que les « zintellos » sortent la tête de la carapace qu’il ont forgé au collège pour s’éviter le lynchage.


Entre hors d’œuvre et œuvre peinte : jeu de mots pour jeu de jambes : après y être entré seul on en sort pour en parler ensemble, pour que l’aventure devienne collective et plus riche par synergie d’intelligences.


3/ Plat assaisonné par le prof



Jacques Linard (1597 - 1645) est un peintre français, fils de maître peintre à Troyes, qui a réalisé seulement une cinquantaine d’œuvres, la plupart des natures mortes avec les mêmes objets. On retrouve dans ses différentes œuvres le bol chinois, la boîte en bois, …


Un petit (55/68 cm) tableau inconnu peint il y a longtemps (1638) par un inconnu pour mettre doucement en appétit et s’affranchir de la vanité d’être savant. Mais aussi pour aller à l’essentiel de la peinture : que veut-elle dire … au fond ?


L’intérêt de cette peinture est bien son sujet symbolisé dans son objet. Une nature morte pour commencer un cycle sur les repas, on peut déjà longuement méditer sur ce choix. Un repas n’est-ce pas déguster de mortes choses pour rester vivant ? Une nature morte n’est-elle pas toujours une sorte de vanité, représentation allégorique de la mort, du temps qui passe, de la vacuité des passions humaines, méditation sur la péremption des choses terrestres vis à vis des desseins de Dieu ? Une nature morte comme premier repas avec le Christ pour parler de l’actualité de l’eucharistie et de l’incarnation : c’est aujourd’hui que le Seigneur nous offre ce repas, l’éternité est contenue dans le temps de ce repas, si l’on croit en la présence réelle.


Ce tableau se nomme les cinq sens : en parcourant le tableau on croise des fleurs qui sentent l’odorat, des fruits qui goûtent l’olfaction, des miroirs qui voient la vue, des pièces d’argent, une bourse de velours qui caresse le toucher, et enfin la partition de musique qui entend l’ouïe. Mais ce simple tableau peut offrir à nos sens, car le mot sens a en français plusieurs sens, une multitude de symboles que le peintre lui-même n’a peut-être pas calculés. C’est la force de la peinture de nous permettre d’aller au-delà de l’intention de l’artiste.


Le bouquet n’est pas fait de fleurs choisies au hasard. L’œillet commun, dianthus caryophyllus, mot formé à partir du grec Διός, Diós, génitif de Ζεύς, Zeus (Jupiter) et ἄνθος, ánthos, fleur, signifie « fleur des Dieux ». C’est aussi un symbole de couronnement par sa forme, de crucifixion par la forme en clous de ses pétales, d’incarnation par sa couleur rouge, de perfection par ses sept pétales.


Le bol en plein centre, sur lequel est peint, tableau dans le tableau, un passeur qui aide à traverser la rivière. Comme le Christ permet le passage de la mort à la vie éternelle, rempli de raisin et de pêches, le Christ, seul Homme, nouveau testament, en offrant le vin, est le nouvel Adam, venu racheter le péché du premier homme, des hommes, du monde, accomplir l’ancien testament.


La figue comme la grenade, ouvertes, offertes. Plutôt ternes et glauques d’extérieur, rouges écarlates et pleines de graines dedans, symbolisent la double nature du Christ, vrai homme et vrai Dieu, la vanité de la forme par rapport au fond, riche et aimant, le sang du sacrifice eucharistique, la profusion et l’éternité contenues dans l’enveloppe terreuse du fruit, la fécondité dans la profusion des graines, la sexualité voire la prostitution. Le Christ lui même a utilisé la figue comme référence à l’ancien testament lorsqu’il dit à Nathanaël : « je t’ai vu sous le figuier » ou dans l’histoire du figuier desséché.


De même la bourse de velours ouverte, noire dehors et rouge dedans nous fait penser à la sexualité, l’offrande de soi, .. et comme tout symbole, son contraire : la présence de l’agent par les pièces qui en débordent évoquent la prostitution, les cartes à jouer le démon du jeu, le roi de pique le pouvoir. Tout ce qui a valeur négative est en bas du tableau.


La partition nous met en musique un texte intitulé « Grâce » comme pour nous dire que seule la grâce divine peut racheter nos péchés de sexe, d’argent et de pouvoir.


La boîte fermée, de peu de valeur, est un tombeau, celui du Christ, centrale dans l’image, sa vrai valeur est son dedans. Elle évoque, comme figue et grenade, la double nature du Christ, l’un des mystères chrétiens, le terrestre par rapport au divin, le rapport entre ce qui est visible et ce qui est caché, l’impérissable et le périssable, ...


Enfin deux miroirs, tableaux dans le tableau, comme le bol. Posent la question de la vérité face à l’illusion. Le petit miroir reflète l’extérieur de la grenade : vanité du reflet, superficie des choses de la terre par rapport à celles du Ciel, plus intérieures, rouges et fertiles comme l’Amour. Le grand miroir peut aussi être vu comme fenêtre vers le dehors ou tableau dans une deuxième perspective. On y voit des ruines en face d’un arbre : le vivant, croissant, organique face au minéral, les ruines du monde ou, comme la figue, une référence à l’ancien testament. Mais encore l’homme face à Dieu.


Les natures mortes sont un jeu de piste, conçues comme tel. Elles font partie avec les paysages et les scènes de genre des sujets adoptés par les peintres au XVIIe siècle, particulièrement en Hollande, suite à la réforme qui interdit les représentations religieuses (iconoclasme).



4/ Boisson mystique de Jean et Paul


Saint Jean nous donne à méditer les paroles de Jésus sur la vie intérieure : « Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent. Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples. Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Jn.15:2-12 /AELF


Saint Paul explique comment le Christ rachète nos fautes, comment il est qualifié de nouvel Adam : «Nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché. Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir. » Rm.5:12-14 /AELF



5/ Dessert d’autres auteurs


J’invite ceux qui ne sont pas rassasiés de peinture à méditer maintenant sur quelques autres natures mortes, plus ou moins célèbres. Le choix est difficile tant la profusion des natures mortes et des vanités est grande. Nombreuses sont nos vanités ce qui en dit déjà long sur la vanité elle même.

 

Pour continuer avec l’artiste : Les 5 sens et les 4 éléments (avec objets aux armes de la famille de Richelieu). Jacques Linard. 1627. Huile/toile, 105/153 cm. Musée du Louvre, Paris. Dépôt du Musée des Beaux-Arts d'Alger, 1970. Cette œuvre n'est pas visible actuellement dans les salles du Musée.

 


Pour l’excellence picturale : Sébastien Stoskopff. Nature morte avec statuette et coquillages. Vers 1630. Huile sur toile, 52 x 73 cm. Musée du Louvre, Paris (on y retrouve la même boîte de peuplier au centre)


 




Pour la vibration dans la matière : Jean-Baptiste-Siméon Chardin. Raisin et grenades. 1763. Huile sur toile, 47 x 57 cm. Musée du Louvre, Paris.

 


Pour la lumière et la couleur : Paul Cézanne, Nature morte (fruits, pichet, compotier) 1892-1894. Huile sur toile, 72,5 x 91,8 cm.



6/ Digestif de sagesse

En 2018 la chorale des feux de Saint-Jean de Lectoure a présenté un concert intitulé « Opéras bibliques » au cours duquel Vanitas Vanitatum de Carissimi était donné autour d’une grande table sur laquelle se montait en scène une nature morte, grandeur nature… Le texte est de l’ancien testament, dans le livre de l’Eclésiaste, aussi appelé Kohélet, ou Qohelet, un livre de sagesse qui fait la liste des vanités dont voici une toute petite partie pour digérer notre méditation :

א דִּבְרֵי קֹהֶלֶת בֶּן-דָּוִד, מֶלֶךְ בִּירוּשָׁלִָם.

1 Paroles de Kohélet, fils de David, roi à Jérusalem.

ב הֲבֵל הֲבָלִים אָמַר קֹהֶלֶת, הֲבֵל הֲבָלִים הַכֹּל הָבֶל.

2 Vanité des vanités, a dit Kohélet, vanité des vanités; tout est vanité!

ג מַה-יִּתְרוֹן, לָאָדָם: בְּכָל-עֲמָלוֹ--שֶׁיַּעֲמֹל, תַּחַת הַשָּׁמֶשׁ.

3 Quel profit tire l'homme de tout le mal qu'il se donne sous le soleil?

ד דּוֹר הֹלֵךְ וְדוֹר בָּא, וְהָאָרֶץ לְעוֹלָם עֹמָדֶת.

4 Une génération s'en va, une autre génération lui succède, et la terre subsiste perpétuellement.

ה וְזָרַח הַשֶּׁמֶשׁ, וּבָא הַשָּׁמֶשׁ; וְאֶל-מְקוֹמוֹ--שׁוֹאֵף זוֹרֵחַ הוּא, שָׁם.

5 Le soleil se lève, le soleil se couche: il se hâte vers son point de départ, où il se lèvera encore,

ו הוֹלֵךְ, אֶל-דָּרוֹם, וְסוֹבֵב, אֶל-צָפוֹן; סוֹבֵב סֹבֵב הוֹלֵךְ הָרוּחַ, וְעַל-סְבִיבֹתָיו שָׁב הָרוּחַ.

6 pour s'avancer vers le sud et décrire sa courbe vers le nord; le vent progresse en évoluant toujours et repasse par les mêmes circuits.

ז כָּל-הַנְּחָלִים הֹלְכִים אֶל-הַיָּם, וְהַיָּם אֵינֶנּוּ מָלֵא; אֶל-מְקוֹם, שֶׁהַנְּחָלִים הֹלְכִים--שָׁם הֵם שָׁבִים, לָלָכֶת.

7 Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n'en est pas remplie; vers l'endroit qui est assigné aux fleuves, ils dirigent invariablement leur cours.


SCORFA



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