Exégèse d'un lieu commun: "ça fait concert"

  Je rougis d'avoir à écrire ces lignes: d'une part, parce que le sujet a déjà été débattu et rebattu; d'autre part parce que le lecteur étranger à l'Eglise, ou se tenant sur Son seuil, amené par le hasard à lire ces bavardages pourrait être saisi d'incompréhension ou de consternation face à ce qui lui semblera le plus vain des propos. Je fais entrer ce texte dans la catégorie "vie secrète des catholiques" tant le sujet relève de la "cuisine interne", tant ces débats sont catho-catholiques, comme on dit "franco-français". J'espère donc que ces précautions préliminaires décourageront le visiteur tombé ici par hasard de pousser plus loin sa lecture. Que celui qui est entré ici avec intention poursuive, si le cœur lui en dit, je sais qu'il a déjà compris de quoi je vais parler, à la simple lecture du titre. 

Scène connue, propos immanquable. On fait venir un chœur professionnel dans le but d'interpréter quelque page du répertoire polyphonique sacré, ou quelques chanteurs prennent une partition de chant grégorien, et, immanquablement, l'on trouvera des fidèles, après la messe, pour maugréer: "cela fait concert".

L'état consternant de l'argumentaire accable, et la lassitude me prend à devoir, une fois de plus, en 2022, le déconstruire.

Argument 1. Il faut évangéliser et attirer des jeunes. Il leur faut une musique "moderne" dont les sonorités leur sont familières. Votre latin, votre polyphonie, votre grégorien, c'est bon pour le concert, pour des connaisseurs, non pour le culte.

- les jeunes savent très bien faire leurs fêtes, leurs soirées; à ce jeu de l'imitation vous aurez toujours un train de retard; et ce n'est pas vos fades cantiques sur des airs de variété qui les attireront. Peut-être plairez-vous à quelques enfants; mais soyez assuré qu'ils ne reviendront pas à la messe à l'adolescence, tant vous leur aurez inculqué, par vos fadaises musicales, que le mystère qu'elles entourent n'est pas bon à croire.

Argument 2: cette musique sacrée est bonne pour le concert; c'est la musique de l'Eglise d'hier, de l'Eglise baroque, de l'Eglise d'Ancien Régime, qui va avec tout le bric-à-brac des pompes et des dorures que nous avons très-heureusement bazardé ; nous sommes salutairement revenus,  depuis Vatican II, à la pauvreté évangélique, et il nous faut une Eglise pauvre, pour les pauvres.

- ce propos mêle à la fois le mépris pour l'art et mépris pour les pauvres. 1° Les églises sont des lieux de beauté; l'esprit, je dirais le génie catholique est d'être une religion de l'incarnation, qui reconnaît au charnel - au sensible - sa dignité et, sur le sujet qui nous occupe, le rôle de soutien aux élans spirituels. La beauté pour les yeux, et pour les oreilles doit être pris non pour elle-même mais comme un avant-goût du Royaume. Notre bonheur, je veux parler de la Béatitude finale, se fera avec et dans nos corps, qu'en bonne théologie nous nommons corps glorieux. Nous ne sommes pas immatériels: nous ne serons pas de purs esprits. Supprimer la beauté des églises et des rites est un iconoclasme sous lequel se cache un dualisme. 2° Vous voulez servir aux pauvres le plat du pauvre. Vous le croyez, en fait, inapte à apprécier le Beau. Vous voulez lui servir la même soupe qu'on lui assène à longueur d'onde et de flux.

Argument 3. Les fidèles doivent participer activement à la messe: le chrétien n'est pas là pour assister à la messe, comme on assiste à un concert.

- c'est une mauvaise compréhension de ce qu'est la participatio actuosa, dont j'ai parlé il y a quelques semaines dans nos Cahiers. Que savez-vous de ce qui se passe dans l'intériorité, dans l'intime de l'âme de celui qui est apparemment "passif" à la messe? Peut-être qu'une révolution intérieure a lieu, et vous, vous n'en savez rien. Vous voulez des messes agitées; nous voulons des messes recueillies. Quand le prêtre prononce les paroles de la consécration, une révolution a lieu, un bouleversement cosmique opère, pourtant invisible: le pain reste le pain, apparemment: et Dieu, Celui qui est, le Créateur de toutes choses, est présent.

Vouloir que la messe soit belle, y attacher une attention particulière, voire scrupuleuse, est un geste d'amour, infime en regard du Sien, mais c'est le minimum que nous pouvons faire. Votre manière de célébrer est à l'image de la musique que vous infligez au sacrement des sacrements, relâchée, vague, tiède, mièvre. Adoptez le point de vue de celui qui entre par hasard dans une église, au milieu de l'une de nos célébrations. C'est l'attention, la précision que nous accordons à chacun de nos gestes, et surtout celles qu'accordent prêtre et servants aux leurs, qui dira le caractère précieux du trésor de notre foi, et l'amour que nous portons au mystère célébré. Pureté du geste, élévation de la musique, noblesse des ornements.

Je relis mon texte. Je sais que je ne convaincrai que ceux qui sont déjà convaincus, et que je m'enfoncerai toujours plus dans le mépris de ceux que je ne convaincrai pas et qui continueront à vider leurs églises de campagne, jusqu'à leur mort, perséverant à anônner leurs médiocrités musicales. C'est avec une infinie tristesse que je vois et entends la laideur dans nos églises, d'autant plus indéracinable qu'elle est idéologiquement enracinée. Toucher à cela c'est toucher à ce en quoi ils ont cru depuis les années 70-80. Alors que nous attendons, résignés, patients, votre mort, car vous êtes vieux, et n'en finissez pas de vieillir, et sachant que vos idées sur l'église, déjà mortes, finiront par ne plus être entendues faute d'être prononcées, quand vous aurez rejoint votre Juge et Rédempteur, qu'il me soit permis d'écrire et de faire lire à qui le voudra bien ces quelques lignes, qui me libèrent d'un fardeau. 

Je critique? Je suis peu charitable? Certainement. Mais ne croyez pas que je ressente une quelconque haine. Au contraire: j'ai l'âme triste à mourir.

M.


Sun Mu (선무), Ideology, 2013


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