Il y eut un soir...

Il y eut un soir…


Elle est allée seule au tombeau de « grand matin » nous dit l’évangéliste. Marie Madeleine a quitté son lit, réveillée par l’amour de son « rabbouni », pour lui rendre les derniers hommages. Tirée de sa torpeur par la charité, la voilà dans le jardin avant que le soleil ne l’éclaire. Le mot grec employé par S. Jean pour désigner le « matin » (πρωΐ) est exactement le même que celui qui scande le récit de la Genèse : « il y eut un soir, il y eut un matin… » Sachant que ce même évangéliste ouvre son œuvre inspirée par des mots également venus du premier chapitre du premier livre de la Torah (Ἐν ἀρχῇ -« dans le principe » - « au commencement ») difficile de ne pas voir le lien qu’il établit entre les deux évènements. Il s’agit bien de commencements, d’une création et d’une recréation. 


Et cela se passe de « grand matin » traduisons nous (il n’y a pas l’adjectif « grand » en grec). L’évangéliste précise même que les ténèbres sont encore là. Autrement dit, c’est l’aube. En français nous avons deux mots pour décrire l’état du ciel avant le jour (instant où le soleil commence à luire à l’horizon) : l’aube et l’aurore. La première précède la seconde. L’aube désigne le moment où la lumière commence à apparaître mais que les ténèbres sont encore bien présentes. Et l’aurore décrit l’instant où les premiers rayons du soleil commencent à poindre. Marie Madeleine est à l’aube dans le jardin. Et cette aube nous plonge dans un curieux sentiment. Une sorte de mélancolie. Les angoisses de la nuit se dissipent peu à peu et laissent place à une sorte d’incertitude. Le jour n’est pas encore là, et pourtant il ne va pas tarder. C’est l’instant du possible, l’instant où tout ne semble pas encore déterminé. Un instant paisible, durant lequel les oiseaux se remettent à chanter, et les bestioles à frémir dans les fourrées. La vie revient.
 

Le jour de Pâques nous fait ressentir ce même sentiment de l’aube en le faisant en plus perdurer. La résurrection de Jésus nous laisse dans cette attente du soleil qui vient. Une attente qui se fait dans des ténèbres partielles. La lumière n’a pas encore vaincu, mais devrait le faire (puisqu’elle l’a déjà fait hier !) mais elle n’a pas encore pris le dessus. Un temps suspendu, un goût d’éternité somme toute…
Un peu d’air frais dans les narines nous rappelle que nous vivons. Un frisson nous redonne notre corps, il faut rester là, sans bouger et silencieux, face à l’Orient. Il a dit qu’il reviendrait, et il n’a jamais menti. La Madeleine nous enseigne ce qu’elle sait faire de mieux, elle pleure… L’aube c’est l’état du monde après l’annonce de la Résurrection. « Au milieu de la nuit, un cri s’est fait entendre, voici l’époux qui vient ». Sol Invictus paraîtra. D’ici-là, c’est l’aube. Ce mélange inextricable de lumière et d’ombre.
Soyons juste prêts à être baigné de lumière, que nous puissions avoir des têtes de sauvés. Nietzsche disait : « je croirais en Dieu, quand les chrétiens auront des têtes de sauvés », bien monsieur le philosophe, pour cela il faut se tourner du bon côté, à l’Orient du jour sans fin.  

Fr. Etienne, o.p.

Albarran Cabrera (Anna Cabrera & Ángel Albarrán, 1969 - ), This is you here (#146) (c) https://albarrancabrera.com/



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