Le calendrier décapité


L’approche d’Halloween et l’occasion, non de ressasser une année encore l’inanité de cette fête imposée par les marchands, on l’a déjà fait, on se répète, mais de faire le bilan des fêtes qui ponctuent notre temps. Premier constat : les fêtes chrétiennes n’étant plus célébrées en France que par le petit nombre de ceux qui y croient, et ayant par conséquent perdu leur statut de fêtes populaires et nationales, la nature humaine continue pourtant de manifester son besoin de ritualiser le temps, de célébrer et d’unir.

Chrétien, ma vie est rythmée par les temps liturgiques ; répétés chaque année, il me permettent d’approfondir le mystère de notre Rédemption. Je constate, à côté, l’instauration année après année d’un autre calendrier liturgique avec ces multiples fêtes profanes que l’on a vu apparaître progressivement et qui cherchent à rassembler la communauté, prenant ainsi la place de l'ancien système des fêtes chrétiennes (qui elles-mêmes avaient pris la place des fêtes païennes, lupercalia, saturnalia, ...). Regardons l’année écoulée : fête de la musique (pour rappel, fête instaurée en 1982), jeux olympiques (dont le caractère n'est pas annuel, bien sûr, mais les calendriers religieux ont eux aussi leurs rites espacés dans le temps, tel le principe du Jubilé), octobre rose (dont l’utilisation d’une couleur sur une période évoque les couleurs liturgiques qui elles aussi ne sont en vigueur que sur un temps limité), halloween (dont la date d’instauration en France est floue, car dépendante des actions commerciales des supermarchés, non d’une décision gouvernementale comme c’est le cas de la Fête de la Musique).

Moments qui nous concernent tous, car rendus visibles dans l’espace public, par des ornements, des thèmes, des couleurs, des slogans au caractère de phrases rituelles. Moments d’union, au nom de valeurs supérieures ? C’est à voir, car ce qui ne laisse pas de surprendre est l’absence de motif ultime à ces fêtes, jamais nommé, jamais désigné.

Fête de la musique : mais que dit-elle, cette musique ? Ou, s’il s’agit de musique sans parole, qu’orne-t-elle ?

Cérémonial des Jeux 2024 : axé sur la « diversité » des origines, des modes de sexualité, des « genres » ; au rendez-vous : le triolisme, le genrisme, le queerisme, le drag-queenisme, …, -ismes dont on ignore s'ils veulent être subversifs ou normatifs. Les deux peut-être. On répondra : non, cela doit être « festif » : mais que fête-t-on ? Quel but ultime à l’existence une fois celle-ci « affranchie » des cadres sexuels, familiaux, « genrés » ?

Octobre rose : l’on doit soulager les corps souffrants et guérir les maladies – mais à quelle destination le fait d’être un corps est-il voué ? En d’autres termes, à quoi mon existence incarnée, mon existence de corps en bonne santé, ou guéri, ou malade, doit-elle servir ?

Halloween : peut-être faut-il qu’associer la mort et le maléfice au carnaval soit un moyen d’exorciser notre peur de la mort ; mais du bon usage de la vie, qu’en est-il ?

L’avantage des fêtes chrétiennes est, à travers leurs dogmes célébrés et leurs récits émouvants, de désigner une finalité ultime, quelque chose en quoi espérer. Ici l’on fête pour fêter, on tolère pour tolérer, on guérit pour guérir ; on célèbre la célébration – la soif de sens, elle, n’est pas étanchée.

C’est toute la tension interne de nos sociétés sécularisées qui est en jeu : bien sûr, ces fêtes célèbrent la tolérance, et ne sauraient imposer de croyance, de valeur, de philosophie ou de morale : cela appartient à chacun ; mais ce qui nous rassemble consiste à tolérer celui qui ne pense ou ne croit pas comme moi. Donc nous vivrons en paix. Mais pour quoi faire ? C’est là toute la beauté de la tolérance, et son insuffisance. Ces fêtes unissent autour d’un moyen, et non d’une fin.

C’est une foi sans objet, une espérance sans savoir ce que l’on espère, une charité sans savoir ce qu’est le bien que mérite celui que l’on aime.

Cette année liturgique profane nous mène cependant sur deux voies : la première, tolérante et diversitaire (Fête de la Musique implicitement, Cérémonie des Jeux explicitement), commence par tolérer les différences de spiritualité/philosophie, puis, par les forces dissolvantes du relativisme, les amoindrit, et finalement leur fait perdre toute consistance ; d’où la déconstruction promue : rien n’est, tout passe. La seconde, celle du corps (Octobre rose positivement, Halloween négativement), nous dit que nous n’avons rien d’autre à notre disposition que celui-ci : rien n’est, hormis la jouissance de sensations.

MAGISTER

Pierre du Soleil (improprement appelée "calendrier aztèque"), XVe s. (règne d'Axayacatl). Mexico,  Musée national d'anthropologie


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