Nous vous entendrons là-dessus une autre fois
Au chrétien est assignée la mission de proclamer sa foi. Et non de la proclamer comme une simple leçon apprise, mais comme une expérience vécue. Ainsi, charge à lui de connaître non seulement le contenu de la foi à laquelle il adhère (le kérygme, le credo, et le catéchisme), mais aussi de rendre compte de l’effet que la foi opère dans sa vie. Ainsi, saint Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens, chapitre XV, commence par une formulation du kérygme, c’est à dire le résumé, la formulation condensée du contenu de notre foi :
1 Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Évangile, vous l’avez reçu ; c’est en lui que vous tenez bon, 2 c’est par lui que vous serez sauvés si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé ; autrement, c’est pour rien que vous êtes devenus croyants. 3 Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, 4 et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, 5 il est apparu à Pierre, puis aux Douze ; 6 ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois – la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont endormis dans la mort –, 7 ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres.
Puis il parle de lui-même :
8 Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis. 9 Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu. 10 Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi.
Saint Paul, et il est à imiter, rappelle le contenu objectif de la foi qu’il lie étroitement au contenu subjectif, strictement paulinien, de celle-ci, c’est-à-dire en quoi elle a transformé sa propre vie.
Notons que Paul ici s’adresse à une communauté déjà évangélisée : il se donne pour mission de confirmer, ou de consolider, une foi déjà vivante. Qu’en est-il de l’annonce aux incroyants, la première annonce ?
Cette proclamation est ardue, pour plusieurs raisons ; nous insisterons sur trois d’entre elles :
1° le fait que les membres d’une société sécularisée et matérialiste ignorent, pour une part d’entre eux, le spirituel ;
2° le fait que certains membres de l’Église, par leur comportement peccamineux, se sont comme mués en écrans entre la lumière de Dieu et les êtres, remplissant ainsi une fonction à l’exact opposé de celle qu’ils avaient pour mission de remplir, à savoir d’être les vecteurs mêmes de cette lumière, de la faire passer à travers la beauté des actes et des paroles, et, plus grave, ont même fait usage de la vertu comme paravent du vice : Jean Vanier, Henri Grouès, etc.
3° une fausse conception du prosélytisme, terme employé de façon déconnectée de son étymologie et devenu entièrement péjoratif, servant à disqualifier toute annonce en paroles. Disqualification qui, hélas, a parfois été voulue au sein même de l’Église.
Mais pour ceux qui voudraient tout de même tenter l’annonce, c’est-à-dire l’évangélisation, afin de se conformer aux instructions précises et expresses du Christ lui-même (cf. ses ultimes paroles avant de s’élever, par exemple chez saint Matthieu (chap. XXVIII, c'est-à-dire l'excipit à proprement parler) : 18 Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. 19 Allez! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, 20 apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Il est bon de rappeler qu’il s’agit de ses dernières paroles, ses dernières instructions, puisqu’apparemment il est parmi nous certains disciples qui voudraient se soustraire à ce devoir d’évangélisation), je souhaite rappeler ici les trois réactions auxquelles il faut s’attendre, selon la voie de l’annonce choisie.
1° La dévaluation. Cette réaction, qui consiste à amoindrir le message chrétien pour le réduire à la simple morale commune, est provoquée certainement en partie par un déficit dans l’annonce elle-même. Ce phénomène se rencontre parfois quand on souhaite faire passer l’annonce par les actes de charité concrète. Si le disciple ne rappelle pas – explicitement – que l’aide, le soulagement et la consolation apportés aux pauvres, aux malades ou aux malheureux n’est pas une fin en soi mais un moyen de libérer les êtres des tortures corporelles ou psychiques pour leur permettre, une fois soulagés, d’ouvrir leurs âmes à l’appel de Dieu, l’acte de charité devient un acte de solidarité matérielle. Le non-chrétien à qui l’annonce est imparfaitement proclamée pose un signe « égal » entre christianisme et morale universelle (expression par laquelle j’entends : besoin de justice sociale, lutte pour elle, etc.), et se dit, qu’en fin de compte, c’est très bien qu’il y ait des chrétiens, mais qu’on peut très bien aider nos frères et « changer le monde » sans avoir à adhérer à une chapelle, etc. Saint Vincent de Paul ne dit pas autre chose, lui le grand serviteur des pauvres, qui n’a de cesse de répéter qu’il faut les servir «spirituellement et corporellement». L’on a trop souvent tendance (et c’est parfois le cas chez les vincentiens eux-mêmes...) de tronquer l’expression, et de faire la moitié du chemin, en se focalisant sur le « corporellement ».
2° Le rejet absolu. Cette réaction de rejet se manifeste lorsque l’annonce est réalisée par le truchement de certaines questions morales, par exemple pour ceux qui prennent au sérieux ce que dit le catéchisme de l’Église Catholique, n°2270, ou 2357, etc. Pour la question sociétale, morale, bioéthique, etc., la réaction est celle de la rupture. Sur ces questions, pourtant, point n’est besoin de parler de la foi ; on peut très bien parvenir, par la simple raison humaine, à la conclusion, par exemple, que l’acte sexuel libre doit comporter le plaisir, l’amour véritable, et l’ouverture à la vie, et que toute pratique sexuelle excluant délibérément l’une de ces trois composantes est une pratique non ajustée à ce que nous sommes ; ou encore tout simplement prendre au sérieux l’article 16 du code civil de la République Française et mesurer combien il est en contradiction avec tel autre article. Mais force est de constater qu’il n’y a plus que parmi les gens de foi que l’on admet la loi naturelle. Cela peut se comprendre : Dieu, en donnant les tables de la Loi à Moïse, n’a-t-il pas lui-même explicité la loi naturelle directement, quand on aurait pu penser que cette loi, inscrite au cœur des hommes, était simplement accessible par la conscience et la raison ? C’est bien qu’il y avait une nécessité. Toujours est-il que si le fidèle fait le choix de la question sociétale comme première annonce, il commence par la fin : c’est par notre foi, par notre foi vécue, profonde et fervente, que les difficultés avec les commandements s’évanouissent (la mystique avant l’ascétique) ; passer par la voie des commandements pour remonter vers la foi est un chemin escarpé, et bien souvent c’est la rupture immédiate et l’affrontement idéologique stérile qui prend place.
3° L’indifférence. Ne croyez pas que celui qui choisit de commencer par la foi en évitant les sujets difficiles liés à la morale soit mieux placé dans sa démarche d’annonce. La joie, le caractère exceptionnel de l’expérience de la foi, de la prière, de la douce présence de Dieu, quand ils sont communiqués laissent bien souvent les destinataires de marbre. Face à ce mur d’indifférence, le disciple ne doit pas se laisser décourager : au contraire, ce mur est un bon signe. C’est celui de Pilate face à Jésus, pour mettre un terme à la conversation : « qu’est ce que la vérité ? » (cf. Jean, XVIII, 38 : (…) Jésus : « Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » 38 Pilate lui dit : « Qu’est-ce que la vérité ? » Ayant dit cela, il sortit de nouveau, etc.
Il est frappant de constater ce type de réaction en d’autres endroits de l’Ecriture :
A Athènes, des membres de l’aréopage rétorquent ironiquement à saint Paul à la fin de son discours (Ac XVII, 34) : « Nous t’entendrons là-dessus une autre fois ».
Autre écho, saint Paul face au gouverneur de Césarée, Félix (Ac 24-25) : "Il envoya chercher Paul et l’écouta parler de la foi au Christ Jésus. 25 Mais quand l’entretien porta sur la justice, la maîtrise de soi et le jugement à venir, Félix fut pris de peur et déclara : « Pour le moment, retire-toi ; je te rappellerai à une prochaine occasion. »
Intéressant de noter comme le « on vous rappellera » hypocrite était déjà en usage chez les Anciens !
Ces trois témoignages scripturaires prouvent assez qu’il entre dans le lot commun à tout disciple de devoir faire face à l’indifférence ou au sourire ironique ou embarrassé. Que celui qui n’a pas reçu en retour d’un témoignage, ce silence gêné suivi d’un changement hâtif de sujet, ne se considère pas comme un disciple accompli !
Ne cessez pas d’annoncer : le fait qu’on ne veuille pas vous écouter est le signe même de l’efficacité de votre prédication. Non seulement on ne vous comprendra pas, mais on ne cherchera pas à vous comprendre.
MAGISTER
Édouard Bernard Debat-Ponsan, dit Ponsan (1847+1913), saint Paul prêchant devant l'aréopage (détail) (1876), Courbevoie, église Saint-Pierre Saint-Paul. www.sauvegardeartfrancais.fr/ |
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