Exégèse d'un lieu commun : "Dieu a autre chose à faire"

Essayons, une nouvelle fois, de tordre le cou au prétendu Bon Sens.
"Dieu a autre chose à faire" ; "on ne va pas déranger Dieu pour si peu"...

Ces expressions sont teintées d'un anthropomorphisme inquiétant. Mais on comprend l'attaque qu'elles constituent: comment ne pas sourire de ceux qui prient "pour une place de parking", ou pour tout autre avantage dérisoire? Alors on se dit: je ne vais pas prier pour si peu, "Dieu a autre chose à faire", avec tous ces pauvres et ces malheureux qu'il y a sur Terre.

La place de Dieu dans nos vies

Dieu est omniscient: il sait très exactement tout ce que nous sommes, et nous connaît infiniment mieux que nous nous connaissons nous-mêmes. "Prier pour une place de parking" est un moyen d'accepter qu'il prenne la place qui lui revient dans nos vies, c'est-à-dire la première. Vivre avec Dieu, n'est-ce pas penser à lui continuellement? Et dans chacun de nos actes quotidiens, même les plus infimes, il a Sa place. Dire qu'il a "mieux à faire", c'est limiter l'omniscience, la toute-puissance et l'éternité de Dieu. Il peut très bien s'occuper de nous et de celui qui est frappé par un grand malheur! Je pense même que cette remarque de pseudo-bon sens ("il a mieux à faire que de s'occuper de moi") est un moyen de mettre Dieu de côté, de ne le faire intervenir dans nos vies seulement quand cela nous arrange. Et d'être des chrétiens du dimanche, en somme. Dieu est là dans nos joies - rendons grâces - Dieu est là dans nos peines - supplions-le ; mais il est là également dans nos actes les plus petits.

Allons plus loin: il est également à craindre que celui qui ne fait pas place à Dieu dans sa vie quotidienne la lui laissera plus difficilement lorsqu'un événement grave surviendra, et celui-là se met en danger en s'exposant à deux risques: celui de la désespérance (Dieu n'est pas là) et du volontarisme ("je peux très bien m'en sortir tout seul, sans Lui"): deux façons d'exclure Dieu, de le nier sinon en paroles du moins en actes.


La prière de demande

Élargissons: tout cela nous renvoie à la question classique: pourquoi prier alors que Dieu sait déjà ce qu'il nous faut? Jésus dit Lui-même: "votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez" (Mt 6-8). Ailleurs, pourtant, nous voyons des exemples de demandes:  le lépreux dit en Marc 1-40: "si tu veux, tu peux me guérir". Pourquoi formule-t-il cette demande ? Ce lépreux aurait très bien pu se taire, et attendre sa guérison, assuré qu'il est de la capacité de Jésus à savoir par avance ce dont il a besoin. C'est que la prière est un acte de confiance. La demande est aussi l'ouverture du dialogue. La prière de demande permet de s'adresser à Jésus avec confiance. Comme un enfant qui demande à son père, nous, enfants de Dieu, adressons une demande à notre Père qui est aux cieux, comme expression de notre confiance, confiance en sa tendresse paternelle.

Notre relation à Dieu est une relation filiale, pas une relation servile ou mercenaire. En effet, dans l'hésitation que nous avons à adresser nos demandes y a-t-il la crainte de devoir "payer la facture", le "coût" de ces dons que Dieu nous fait. C'est que, mauvais chrétiens, nous oublions bien souvent que ces ces dons sont véritablement des dons, c'est à dire: gratuits. Difficile de déraciner le fond païen de notre lien à Dieu, cette relation marchande que les Anciens entretenaient avec leurs divinités: donne-moi ça, je te donne ça.

En nous adressant à Dieu, nous répondons à Son appel. Car il nous appelle sans cesse, il frappe à la porte sans cesse (Ap. 3, 20). Alors, de notre côté, demandons, demandons sans cesse;  c'est un signe de confiance, et cela augmentera notre confiance, c'est-à-dire: notre Foi.


il y a marqué: "ὁ Ιησοῦς κρούων τὴν θύραν" (Jésus frappant à la porte)

Dieu, digne de confiance

Car, finalement, c'est notre capacité à reconnaître Dieu comme digne de confiance qui est en jeu ici. Ressentir le besoin de mettre de côté Dieu, de temps à autres, traduit assurément notre méfiance à son égard, une méfiance semblable à celle que ressentaient les "Anciens" déjà cités.

Pourtant, on le dit et on le répète, c'est même le message essentiel - et nouveau - de l'Evangile: Dieu est Amour, Dieu nous aime. Connaissance surnaturelle, apparemment, tant il apparaît comme naturel de se méfier de Dieu. Je me souviens de ces enfants de 12 ans en catéchèse, peu habitués à la parole évangélique et qui cependant demandaient à "faire" leur première communion, qui "tombaient des nues", étaient même indisposés à l'idée - que je leur proposais à l'esprit - que Dieu avait connaissance de chacun de nos actes. Pauvres enfants: ils avaient l'impression qu'une caméra de surveillance était sans arrêt braquée sur eux. Dieu, c'est "Big Brother is Watching You" (G. Orwell, 1984), en somme! Ne voyons nous pas, dans la réaction naturelle de ces enfants, notre propre tendance à oublier que c'est un regard plein d'amour qui est sur nous, d'un amour si grand qu'il surpasse nos petites turpitudes.

Car Dieu, nous le savons - ou sommes censés le savoir, chrétiens - n'est ni un souverain arbitraire aux arrêts et ordonnances incompréhensibles mais auxquels il faut nous soumettre, ni un grand architecte retiré de sa création une fois celle-ci créée, mais un Dieu d'Amour sans cesse à nos côtés, disposé à nous offrir sa grâce - si toutefois nous l'acceptons.

Magister.

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