Autorité (4) : Le Châtiment (II)

Dans la continuité de nos réflexions sur l'autorité (cf. les articles précédents, ici, , et à cet endroit), le moment est venu de contempler un acte qui fait partie de notre quotidien d'éducateur : punir.

Le châtiment : quelles conceptions ?

Essayons, une fois de plus, d'y voir clair dans nos conceptions, et essayer de déterminer les motifs qui amènent à punir. Voici donc cinq manières de considérer la punition. (*)

  1. La punition dressage.
    Elle a pour but d'associer le souvenir d'une douleur à la perpétration d'un acte interdit ; par l'habitude, la répétition de la punition, on cherche à rendre instinctif le bon comportement, par crainte physique du stimulus négatif. Les tenants de cette conception de la punition s'adressent à ce que nous pourrions appeler « l'intelligence associative », et considèrent surtout la part animale de l'éduqué.
  2. L'exemple
    Ici, on craint la contagion du mauvais comportement ; l'acte mauvais a lui-même valeur d'exemple, et trouve des imitateurs, c'est ce que craint le chef ; celui-ci va punir « pour l'exemple », mû par le souci de la cohésion de son groupe. La punition « pour l'exemple » est donc publique et a pour but de dissuader les autres membres constituant le groupe de commettre l'acte interdit.
  3. La préservation de l'autorité :
    La punition peut avoir pour objectif de préserver l'autorité : on est proche ici de la punition-exemple que nous venons de considérer. Une loi sans cesse transgressée devient objet dérisoire ; un maître jamais obéi devient ridicule. La punition vient consolider l'autorité, en préserve la gravité.
  4. Garantie de l'ordre social :
    on peut également considérer la punition comme la mise à l'écart du membre corrupteur de la communauté. Tel ou tel, par son comportement, fait du mal aux autres ; l'isoler (exclusion, enfermement,...) devient nécessaire. Les métaphores traduisant cette conception sont des lieux communs : image de la contagion à empêcher ; image du fruit pourri à ôter si l'on ne veut pas qu'il étende sa putréfaction aux autres... le chef punit pour protéger les autres.
  5. L'expiation.
    La punition expiatoire se centre ici sur le sujet criminel, dans sa relation à l'entité offensée (la divinité, la communauté, la société...) ; celui qui a commis le mal doit subir une peine pour être purifié, c'est-à-dire pour mériter le pardon. Sa peine le réintègre dans le corps social dont il a été exclu, ou dont il s'est exclu lui-même par son acte.
Comment le professeur chrétien d'une école chrétienne, muni de ces définitions, va-t-il punir ? Y a-t-il une manière chrétienne de punir ? Si, conscient d'être créé à l'image de Dieu, il prendra Dieu pour modèle, une question se pose : Dieu punit-il ?

Dieu punit-il ?

Avons-nous les idées claires sur le sujet ? On oppose le Dieu qui châtie et le Dieu de Miséricorde. Ces deux figures sont parfois inconciliables dans l'esprit de nos frères et sœurs chrétiens. Pourtant, il me semble que supprimer l'un des deux aspects revient à tomber dans un extrême ou dans un autre, et à s'éloigner de la vérité. Certains façonnent l'image d'un Dieu gendarme ou Monarque à la justice impitoyable ; d'autres celle d'un Dieu qui pardonne tout et qui garantit le Paradis aussi bien à Staline qu'à Mère Teresa.

La Justice de Dieu est parfaite ; son Amour aussi. Il n'est donc pas question d'une justice déréglée ; Dieu fait justice, je dirais même qu'il rétablit la justice, d'une manière parfaite. Essayons de sonder la « punition divine », en examinant des passages des Ecritures où Dieu punit.

L'interdit et la punition. Adam et Eve. Chapelle Sixtine. Michelange.


Le Drame de l'Eden.

Le début de la Genèse est parlant. Il y a un acte interdit, une transgression, une punition.

« Tu peux manger de tous les arbres du jardin ; mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort ».

Les choses sont claires. Mais notre lecture de ce passage l'est-elle ? Deux interprétations possibles :
  1. Dieu est sévère et punit sévèrement ses enfants. D'ailleurs son interdit est arbitraire. Dieu limite la liberté de ses enfants ; il jouit de les punir, il jouit de dire non.
  2. Dieu met en garde, paternellement, ses enfants. Il veut les préserver des dangers (le danger, en l'occurrence, est de s'arroger la faculté de décider soi-même ce qui est bien et mal, « revendication d'autonomie morale par laquelle l'homme se renie son état de créature » [Bible de Jérusalem].) Dieu sait que cela les rendra malheureux.

La tentation est grande de choisir la première interprétation, c'est-à-dire de voir l'autorité comme un frein à notre liberté ; c'est, de deux options, choisir la pire. Cela en dit long sur note manière de voir Dieu.

Choisissons de manière délibérée, sans créer de fiction optimiste, de faire confiance à Dieu. Et confrontons-nous à présent, animé de cet esprit de confiance, à la punition suprême.



L'Enfer existe-t-il ?

Ici, j'avance prudemment. Je sais que j'aborde un sujet qui agacera, irritera certains de mes frères et sœurs en Christ, qui ne veulent plus entendre parler de l'ancienne pédagogie de la peur. Donc comme remarque préliminaire, j'assure à mes lecteurs qu'ici je ne veux pas rétablir la pédagogie de la peur, mais bien plutôt celle de la responsabilité.

L'enfer existe-t-il ? Selon le théologien Hans Urs Von Balthazar, l'Enfer est une possibilité réelle. Sans possibilité de choisir entre dire « oui » à Dieu et refuser Dieu, sans cette liberté de choix, pas d'amour possible. Aimer c'est être libre de choisir. L'enfer est une possibilité réelle parce que nous sommes réellement capables de refuser l'amour de Dieu. Si nous ne sommes pas capables de refuser l'amour que Dieu nous offre, c'est que nous ne sommes pas libres : Dieu nous forcerait à l'aimer... mais serait-ce de l'Amour ? L'Amour est le don total de soi, volontaire (le Christ est venu en faire démonstration sur la Croix). Si nous ne sommes pas libres, nous ne pouvons entrer dans la communion de son Amour.

Ainsi, la possibilité de refuser Dieu existe. Et refuser Dieu, qu'est-ce d'autre que tomber en Enfer ? J'oserai donc résumer mon propos en disant que l'Enfer est un châtiment que l'on s'inflige à soi-même. C'est face au Pardon, à l'Amour infini de Dieu, lui tourner le dos, par orgueil (Lucifer),par désespoir (Judas), pour se regarder soi-même, comme son propre dieu.

J'affirme donc l'existence de la possibilité de tomber en Enfer, par refus de Dieu ; et j'affirme, de manière concomittante, que ce n'est pas Dieu qui souhaite l'Enfer, de même qu'il ne souhaite, ni ne crée, le Mal (de même qu'il ne nous soumet pas à la tentation...).


Le Purgatoire

Je dirais même qu'au moment du passage, quand nous nous retrouverons face à Jésus pour notre jugement personnel, quand la pure vérité des actes qui auront tissé nos vies apparaîtra dans la simplicité de son évidence, la douleur consécutive à nos infidélités, à nos refus, en un mot à nos péchés, mis en regard de l'Amour de Dieu, constituera la peine elle-même ; face à tant de Bonté, conscient de notre infinie misère, la question est de savoir si nous accepterons le Pardon même de Dieu. Cette peine, cette douleur de l'enfant infidèle, douleur cuisante comme une brûlure : c'est le Purgatoire, le Feu purificateur qui nous débarassera de tout ce qui nous encombre, tout ce qui est superflu pour accéder à un ajustement total avec Dieu. Lire à ce sujet l'Encyclique de Benoît XVI, Spe Salvi.


Quelle application dans notre exercice d'autorité ?

Nous voici donc munis d'une juste appréciation de ce qu'est le châtiment, car nous avons compris ce qu'est la faute : quand on commet le mal, on se punit soi-même, car on se sépare de Dieu.

Si nous voulons être ajustés à Dieu dans l'exercice de notre châtiment, il faudra que notre punition protège le coupable de sa propre faute : en somme, qu'elle le sauve. Conséquences :

  1. nous haïssons le péché mais aimons les personnes qui le commettent : nous ne punissons pas des personnes, mais des comportements. Dans la punition, notre objectif n'est pas de détruire la personne gênante, mais de la sauver.
  2. Comme la peine est la conséquence directe de la faute, de même que la tristesse d'Adam et Eve est la conséquence directe de leur désobéissance, la peine doit être ajustée à la faute ;
  3. conséquence du précédent : la peine infligée doit réparer la faute : elle doit être un Purgatoire, non un Enfer. Nos élèves ne sont pas des animaux à dresser, ou pire, des monstres à détruire, mais des personnes à faire grandir. Notre objectif ultime reste de leur donner suffisamment de liberté pour chercher Dieu de manière autonome, dans la liberté des enfants de Dieu. La peine, vous l'aurez compris, doit donc avoir une valeur expiatoire, dans toute la noblesse de ce terme.

L'élève qui commet le mal envers ses condisciples, ses professeurs, son école, se punit lui-même : en effet, ce n'est pas une victoire que de faire du mal à ses frères. Il se punit lui-même, en brisant l'harmonie, car - proférant la voix discordante - il s'en exclut.

La mission de l'éducateur, dépositaire de l'autorité, est de réintégrer le fautif ; un pardon sans justice ne serait pas réparateur ; un châtiment de pure vengeance, de destruction du fautif, ne serait pas chrétienne, et indigne d'une école catholique. L'élève doit passer du statut de fautif à celui de pénitent. La punition n'est pas là pour venger.

Si nous vivions dans un monde sans péché, nous n'aurions pas besoin de dépositaires de l'autorité ; nous vivrions ajustés à Dieu. C'est l'anarchie originelle, qui fut la vie d'Adam & Eve avant la Chute. L'autorité n'existe que comme un pis-aller ; elle n'existe – et ses dépositaires devraient s'en souvenir – que pour permettre à l'autorité de Dieu d'être respectée par un être humain fragilisé, blessé, obscurcit par le péché. L'autorité est là pour barrer la route au péché et pour aider nos frères et sœurs affaiblis de retrouver un état d'ajustement à Dieu.

Nous devons, éducateurs, punir et aimer.


Possibles objections

  1. Sed : Et l'élève qui triomphe vraiment du mal qu'il commet ?
    Contra : il faudra le détromper. Ce n'est pas faire preuve de Charité que de laisser se tromper celui qui se trompe. N'en restons pas à la punition dressage qui s'adresse à l'intelligence associative : adressons nous à la mémoire, à la morale, à l'intelligence du fautif. La punition s'accompagne de parole. C'est d'ailleurs important pour ne pas perdre le cœur du puni. Gardons à l'esprit que la punition peut devenir abrutissante (cf. l'exemple de Saint Anselme, ou celui de Rousseau).
  2. Sed : la punition abrutit, crée la peur, le mensonge, la soumission... une éducation sans punition n'est-elle pas envisageable ?
    Contra : il est vrai qu'il y a un réel engouement, actuellement, pour des méthodes éducatives dites « bienveillantes », d'où la punition serait exclue. Entendons-nous sur les termes. J'emploie le terme punition par commodité, et je n'ai pas vraiment donné d'exemple concret, d'ailleurs. Je ne parle pas de coups de fouets. Et j'affirme que ce type d'éducation, prétendument dépourvue de punition, punit malgré tout : car il y a, tout de même, des désaccords, des interdits, formulés par l'éducateur, qui protègent l'enfant tout en créant en lui un sentiment cuisant de frustration, qui est une peine en soi.

MAGISTER

(*) sur cette catégorisation, cf. Comment un Saint punissait les enfants, P. A. Auffray, ed. de Chiré

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