Arma Christi

En ce Vendredi Saint, nourrissons notre méditation de la vision de la Passion de notre Seigneur.

Crèche de Pâques


Je voudrais que se propage l'installation de crèches de Pâques dans les foyers. C'est un lieu commun de dire que Noël a pris le pas sur Pâques, en dépit de son caractère de moindre importance dans notre Foi. La grande fête du chrétien, c'est Pâques, c'est le triduum pascal, condensé de notre foi et de notre espérance: le Sacrifice rédempteur, la Résurrection, et leur actualisation dans l'Eucharistie. Mais c'est Noël que l'on décore, c'est pour Noël que l'on installe une crèche. Puissent les familles accomplir les mêmes gestes pour Pâques, afin de rendre cette période aussi précieuse pour les enfants, par l'installation de crèches de Pâques, dont les petites figurines rappelleront les gestes de Jésus, de l'entrée triomphale à Jérusalem jusqu'au tombeau ouvert de la Résurrection.

Les images


Car l'image importe. Sans vouloir froisser nos amis juifs, musulmans ou protestants dans leur renoncement aux représentations, j'affirme ici le caractère essentiel de la représentation dans la vie religieuse. L'image est une moyen d'accès au mystère médité ; et que l'on cesse cet absurde reproche d'idolâtrie: une mère qui embrasse la photographie de son fils parti loin sait pertinemment que ce n'est pas son fils lui-même qu'elle embrasse. Elle peut se passer de ce baiser ; cela ne lui rendra pas son fils, cela ne le fera pas apparaître miraculeusement. Et pourtant, avec ce geste charnel, elle accomplit un geste spirituel. Nous prions avec nos corps, nous prions avec nos yeux. Les courants iconoclastes à l'oeuvre dans l'Eglise (et aujourd'hui encore), qui sont les mêmes qui veulent abolir les gestes (génuflexion...), ont certainement partie liée à un certain dualisme qui ne dit pas son nom (par dualisme j'entends: séparation du corps et de l'âme, âme considérée comme prisonnière du corps. Cf. Platon).

Des images qui semblent avoir fui nos églises sont celles des arma Christi, les armes du Christ, qui désignent sous ce vocable guerrier les instruments de la souffrance subie. Car comme on sait, Jésus Christ a fait de ses outrages des armes qui triomphent du Mal et de la Mort. 

A Lectoure, sur un petit chemin routier nommé "côte du Péberet", une croix a été érigée, certainement lors d'une mission au XIXe siècle ou au début du XXe. En voici une photographie:


Une croix en fer forgé, sur un piédestal de pierre, envahi progressivement par la végétation. Regardons de plus près:


Un certain nombre d'éléments ornent cette croix:

En commençant par le sommet, un coq surplombe ; en haut de la croix, le titulus du condamné, apposé par Ponce Pilate: INRI (Iesus Nazarenus Rex Iudeorum); en dessous, après un ornement, les trois clous.

Dans la partie transversale, alternant avec les ornements identiques, la couronne d'épine à l'intersection centrale, une tenaille à gauche, un marteau à droite.


Dans la partie inférieure de la partie verticale de la croix, une coupe et une échelle.

Pédagogie de l'Eglise

Ces objets font partie des arma Christi, et nous invitent à contempler un des aspects de la Passion de J.-C. Les clous, le marteau, les tenailles, sont les outils du crucifiement. La coupe évoque le calice de l'Agonie, ou la coupe contenant la boisson amère. L'échelle est celle qui servit à descendre le corps de la croix. Sur le titulus est inscrit le motif de condamnation. Le coq est celui qui chanta après le triple reniement de Pierre.

L'Eglise est pédagogue ; et comme une bonne leçon est une leçon divisée en plusieurs points, elle use abondamment de cette démarche pédagogique qui aide la mémoire et cerne l'objet en s'arrêtant sur plusieurs de ses facettes: ainsi des Vertus, au nombre de sept, des péchés (dont les "capitaux" sont sept également), des sept dons du saint Esprit, de sept douleurs de Marie, des 14 stations du Chemin de Croix, des personnages de la Crèche de Noël ; ainsi des outrages du Christ. Je voudrais tout simplement que cet article soit une invitation à s'approprier ces images pour nourrir notre méditation sur la Passion de Notre Seigneur, et je l'espère, à réactiver cette contemplation, qui semble avoir déserté églises et foyers.

Méditer les armes du Christ

Contempler ces instruments de douleur, c'est méditer sur nos péchés aussi bien que sur les dons du Seigneur. Les motifs ornant la croix de la Côte du Péberet, au nombre de huit, ne forment pas une liste complète: complétons-la.

La pierre de Gethsémani: Jésus dans son Agonie, prie son père de détourner le calice de la mort, sur une pierre, symbole de la Création, symbole de la constance, quand ses amis fidèles n'ont même pas pu veiller quelques heures et ont fui dans le sommeil. Cette pierre nous rappelle notre inconstance, notre endormissement; et nous invite à prier pour que Dieu nous aide à veiller.

Les trente deniers de Judas nous alertent sur la corruption par l'argent, cet argent (Mammon) qui veut se substituer à Dieu.C'est notre avarice et notre cupidité qui sont désignées ici.

Le baiser de Judas. Un des plus cuisants symboles de nos feintes. Le geste de l'amour utilisé pour la trahir.


Le coq chanta trois fois après le reniement de Pierre. Comme la figure de Pierre nous touche, dans son assurance téméraire à promettre à son maître et ami qu'il ne le trahira pas, dans sa lâcheté qui le poussa à nier le connaître, quelques heures plus tard, quand la situation semblait perdue, dans son remords qui le fit "pleurer amèrement", point de départ à sa vraie conversion.

Les pierres de la lapidation, les gourdins: ces éléments de la création, comme le roseau sceptre de dérision, la couronne d'épines, les cordes de chanvre, ou le boix de la Croix, sont détournés de leur fonction première, et utilisées pour accomplir le mal. Ces fruits de la Création sont détournés contre leur Créateur. Ce peut être l'occasion de méditer sur le soin que nous portons à la Création que Dieu nous a confiée.

Les cordes qui servent à attacher Jésus. Lui qui se donne librement, on éprouve le besoin de l'attacher comme un malfaiteur, comme s'il allait s'enfuir, alors qu'il jouit d'une liberté totale. Qu'elles nous fassent prendre conscience de ce qui nous attache, de ce dont nous sommes prisonniers.
 
Albrecht Dürer, La Messe de Saint Grégoire, 1511. Reims, musée le Vergeur.

 



La main du serviteur du Grand Prêtre vient gifler le visage de Notre Seigneur. Elle aussi est détournée de sa destination bienveillante pour devenir l'instrument du mal.

La colonne de la flagellation. La colonne est un élément de l'architecture sacrée. Nous pouvons méditer ici sur la vocation des constructions humaines.

Le fouet. Méditons ici sur le fouet qui chasse les concupiscences déraisonnables, manié par exemple par le Christ lui-même qui chassa les marchands du Temple.

Le manteau rouge, le roseau, la couronne d'épine. Voilà Jésus revêtu, par dérision, d'un manteau royal, ceint d'une couronne d'épines, et affublé d'un sceptre ridicule, un roseau. Ces motifs sont chargés de sens. Utilisés par dérision, et en cela nous appelant à l'humilité, à fuir les vaines gloires, la tentation du déguisement, ils rappellent malgré tout la Royauté du Christ, seule capable de nous guérir de nos tentations à nous élever, de notre orgueil, de nos mensonges.

La couronne d'épine en particulier renvoie aux péchés intellectuels, les péchés en pensée, l'orgueil du savant.

Fra Angelico, Le Christ aux outrages, 1438. Florence, Couvent San Marco, 3ème couloir, cellule n°7


Le crachat. Le salut dérisoire (Ave Rex Iudeorum!). La bouche est un don de Dieu donné pour Le louer, et nous l'utilisons pour cracher au visage de notre prochain ou pour le maudire. Le salut ironique des soldats romains nous rappelle toutes les fois où nous avons travesti le langage, pour mentir, paraître, ricaner, défigurer la réalité.

La tunique. Voilà Jésus dépouillé de ses vêtements. Pensons aux vains ou mauvais usages que nous faisons de la nudité ; prions pour la pudeur et la préservation de l'innocence.

Les dés sont utilisés par des soldats romains pour tirer au sort celui qui obtiendra la tunique. Pensons au jeu, à sa perversion dans les jeux d'argent, et pensons également au Hasard, le dieu des ignorants. Car toutes vies sont dans les mains de la Providence.

clous, marteau, tenailles. Ce sont les instruments du charpentier, que Jésus, qui les a longtemps maniés, retrouve ici, pour d'indicibles souffrances. Pensons quelques instants au travail qui doit ennoblir l'homme et que nous défigurons en esclavage, en exploitation, au nom de la rentabilité, de l'avidité.

le vase contenant du vin et de la myrrhe est une boisson anesthésiante, "sorte de narcotique pour atténuer un peu la douleur de la crucifixion. Mais Jésus, après l'avoir goûté, par reconnaissance pour ce pieux service, n'a pas voulu le boire. Il se livre à la mort avec la pleine liberté de l'amour*". En effet, il veut connaître la souffrance des hommes intégralement. Que cela nous fasse méditer sur notre propre fuite des réalités douloureuses du monde, dans les addictions, les divertissements. Veillons. Prions avec confiance, même dans la douleur.

L'éponge imprégnée de vinaigre. Quelle est notre vrai soif?

La lance de Longin ouvre le coeur de Jésus (ce soldat Romain, qui fut celui qui s'exclama: "vraiment c'était le Fils de Dieu!" accomplit lui aussi un pieux service: il évite à Jésus la brisure des Jambes). Puissions-nous ouvrir nos propres coeurs.

L'échelle. Le corps de Jésus est descendu. Imitons ce "lâcher-prise", cet abandon de Jésus entre les mains de ses derniers proches, et puissions-nous nous abandonner entre les mains de ceux qui nous entourent.

Collection privée


Comme on peut le voir, ce sont tous les aspects de nos vies qui sont compilés dans ces symboles, ce sont toutes nos manières de pécher et de crucifier notre Sauveur, et tout à la fois ce sont aussi tous les remèdes que nous offre Dieu par sa grâce.
Saint Thomas d'Aquin disait qu'une seule goutte du Sang de Notre Seigneur suffisait à nous sauver ; ces douleurs indicibles sont donc un surcroît d'amour, et un surcroît de sens. 

 MAGISTER

* Saint José Maria, Chemin de Croix, point 10. 


Croix de Procession. (1477-1505) Attribué à Martín Bernat. Museu Nacional d'Art de Catalunya

Commentaires

  1. On peut méditer sur le sens même du terme « crèche » de Pâques qui semble un contre-sens puisque la crèche désigne d’abord le lieu de naissance du Christ. « Krippe » en allemand, « kribbe » en néerlandais, « krybbe » en danois, « crib » en anglais, « crèche » en français vient du francique « krippia » qui désigne une mangeoire pour animaux, une auge, et donc l’endroit où Marie a posé Jésus à sa naissance comme le raconte l’évangéliste Luc : « Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire [φάτνῃ] , car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. » Lc.2,7 AELF. « Ici est montrée, aux animaux pleins de respect, la crèche, et, dans la crèche, le foin du pré virginal. » St Bernard de Clairvaux, La suavité des mystères de Jésus-Christ, Monastère des cisterciens, 1913, p.14. « Il la prit, y mit au fond du foin tendre et la porta à Marie. Ce fut le berceau du petit Jésus. Alors quand Jésus reposa dans la crèche, ils se mirent à genoux devant lui et l'adorèrent comme leur Dieu. » L'École Canadienne, revue Pédagogique, Arbour et Dupont, 1934, vol.10, page 140. C’est pourquoi une crèche désigne aujourd'hui un lieu qui reçoit les petits enfants lorsque les parents travaillent. La « crèche de Pâques » pourrait être le berceau de la résurrection...

    Sur la querelle des images il y a tant à dire que cela mérite plusieurs articles ...

    Le coq fait aussi partie du « bestiaire du Christ » car il symbolise le Christ annonçant le commencement du royaume, le lever du jour, d’une nouvelle ère, d’une résurrection, c’est pourquoi il siège au sommet de nombreux clochers, pas seulement à cause du reniement de Pierre.

    On pourrait enfin, car il faut finir, tracer un parallèle entre les « arma Christi » et les péchés capitaux / vertus / dons de l’Esprit…

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  2. Merci, cher Scorfa, pour tes précisions passionnantes. C'est vrai que l'expression "Crèche de Pâques" est impropre, il faudrait parler de "Scène de Pâques", d' "Installation de Pâques" ou de "Diorama de Pâques"

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