Une femme humble

 Une ancienne élève (bac 2020) nous envoie un récit, les Cahiers le publient avec reconnaissance.

 

 

Histoire d’une femme humble

Il la voyait s’agenouiller au pied de l’autel, tous les jours. Elle venait au crépuscule, et restait là environ une heure, chapelet à la main. Sa prière finie, elle s’en retournait, recueillie, paisible.

Il avait observé son rituel, de loin, plusieurs semaines durant. Elle n’avait pas encore d’instrument de prière, alors. Elle comptait maladroitement sur ses doigts et, parfois, se trompait. Et, patiemment, après un léger geste de découragement, elle recommençait.

Le vieux curé avait fini par lui offrir son propre chapelet. Il n’était pas bien beau, son chapelet : en bois usé, la cordelette abîmée, certains grains à moitié fendus. Mais elle l’avait reçu, les yeux brillants de joie, et un sourire plein de reconnaissance aux lèvres. Depuis, elle s’en était toujours servi. C’était son seul bien.

Il savait peu de choses d’elle. Ni jeune, ni vieille, elle avait une cinquantaine d’années. Elle était pauvrement, mais proprement vêtue. Personne ne la connaissait, sauf les quelques âmes charitables qui l’employaient à des travaux domestiques, par pur souci de sa dignité, sans qu’elle leur soit véritablement utile. Elle le savait, mais faisait de son mieux. Elle ne semblait même pas avoir de famille, ni d’attache. On avait dit au vieux curé de la chapelle qu’elle vivait dans une petite cabane, au fond d’une cour obscure, sans gêner personne.

De jour en jour, il la voyait décliner, de plus en plus pâle, de plus en plus faible, rongée qu’elle était par la maladie, sans rien pouvoir faire de plus que lui offrir un bouillon chaud de temps à autre, lui-même n’étant pas bien riche.

Et puis, un jour, il l’avait trouvée là, étendue sans vie sur les marches de l’autel, chapelet à la main, un merveilleux sourire aux lèvres. Un parfum de rose l’environnait. Et, détail frappant, en cet hiver glacial, une magnifique fleur de lys d’un blanc très pur, au parfum très léger se mêlant délicieusement à celui de rose, reposait près d’elle.

Le vieux curé, après l’avoir bénie, s’agenouilla et pria.

 

Discipula

 


Vilhelm Hammershøi (1864-1916), Intérieur avec une femme debout, n.d, huile sur toile, 67,5 x 54,3 cm Ambassador John L. Loeb Jr. Danish Art Collection Crédits : © TX0006154704

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