« ma mère me râla dessus » : telle est la phrase qu’un élève de troisième crut bon d’écrire dans sa rédaction. Sujet : racontez un souvenir. Il était donc attendu qu’on ferait usage de la première personne. Par contre, pour ce qui est du choix des mots…
Il est vrai que l’on a tenté ici de rendre compte d’un acte de parole difficile à fixer par des mots : « gronder » appartient à l’enfance ; le périmètre du langage châtié est caractérisé par une certaine richesse : blâmer, vitupérer, fustiger, réprimander, admonester, agonir, sermonner, sont d'un langage soutenu, trop soutenu ; de l’autre côté, « engueuler » ou « pourrir » ne sauraient être employés dans une rédaction. « enguirlander » ? « passer un savon » ? familiarités d’un autre temps. Curieusement, notre langue n’offre pas de zone intermédiaire pour exprimer la réalité de cet acte de parole. Voilà donc mon élève qui opte pour un impropre « ma mère me râla dessus ».
Je lui suggère ce correctif : « ma mère me fit de vifs reproches ». Refus de mon élève d’employer une telle formule. Non parce qu’elle est trop soutenue à son goût ; mais parce qu’elle a « moins de force ».
Nous touchons là à un profond malentendu existant entre les élèves et leurs professeurs. A mes yeux « ma mère me râla dessus » est celle des deux expressions qui manque le plus de force, et en particulier pour son impropriété. Aux yeux de mon élève, ces « vifs reproches » manquent leur cible. Pas assez vrai, pas assez vécu : donc pas assez fort.
Mais la rédaction de français doit-elle refléter avec exactitude le langage oral et la langue quotidienne ? C’est bien là le malentendu. En réalité, nous adoptons un autre langage, qui est celui de l’école ; ce n’est pas un langage littéraire, mais un langage avant tout « scolaire », sorte de langue « infra-littéraire », en ce qu’elle ne recherche pas l’art ; langue tenue, soignée, disciplinée, à la recherche de la précision pour nommer les choses, les émotions, les idées. On demande en fait aux élèves d’adopter une sorte de latin, entendons par là une langue employée uniquement par les savants ; une sorte de langue scolastique, en ce qu’elle n’existe qu’à l’école ; en l’occurrence un français universel et précis, langue maternelle de personne, donc bien commun de tous. Car l’école n’est pas faite pour parler le jargon qui se parle dans la rue ou dans la famille.
Je m’interroge sur le refus de l’élève d’employer les « vifs reproches », préférant maintenir son « râla dessus » : la solution suggérée par le maître lui est trop étrangère ; il n’a pas assez été familiarisé avec le latin que l’on utilise à l’école ; et puis : c’est mon texte, j’écris avec mes mots.
Non, ce n’est pas ton texte : c’est un texte destiné à évaluer ta capacité à adopter le langage de l’école ; qu’on te demande un souvenir authentique ou de pure invention importe peu. C’est un artifice.
Artificiel, le langage de l’école ? Certes ! C’est un latin, disais-je, un sermo litteratus qui permet de se placer à la distance adéquate pour observer, analyser, critiquer. Le cours de français n’est pas un cours de vie quotidienne, ou un cours de créativité : c’est un cours où l’on apprend l’exposé, la synthèse, la dialectique, la critique. Un cours où l’on apprend à penser ; ce latin, ce français scolastique en est l’outil.
MAGISTER
Paul Klee - Gespenst eines Genies - 1922 |
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