Saint Anselme et les enfants

Eadmer, Vie de Saint Anselme (~1100)

Traduit du latin par Pascale Bourgain. 

Une éducation fondée sur la contrainte, la coercition, les châtiments corporels,  l'humiliation, ou bien sur la confiance & la bienveillance? Présenté comme cela, le choix semble évident... et pourtant il s'agit d'un débat millénaire, comme vous pourrez le lire dans ce plaisant texte, que nous inscrivons dans le prolongement du texte d'Augustin publié ici.
Magister.



Un jour donc, comme un abbé, que l'on considérait comme extrêmement pieux, parlait avec lui de ce qui concerne la vie en religion, et entre autres choses l'entretenait des enfants élevés dans le cloître, il ajouta :
« Qu'en sera-t-il de ceux-là, je t'en prie ? Ils sont pervers et incorrigibles, jour et nuit nous ne cessons de les frapper, et toujours ils empirent. »
Anselme, étonné par ces propos :
« Vous ne cessez de les frapper ? Et quand ils deviennent adultes, comment sont-ils ?
- Obtus, répondit l'abbé, des bêtes brutes. »
Et lui :
« Avec quel succès avez-vous dépensé votre peine à les élever ? D'hommes votre éducation a fait des brutes.
- Et nous, qu'y pouvons-nous ? Nous les contraignons de toutes les façons pour qu'ils progressent et nous ne progressons en rien.
- Vous les contraignez ? Dis-moi, je t'en prie, seigneur abbé, si tu plantais un scion [=greffon] d'arbre dans ton jardin et qu'aussitôt tu l'enfermais de toutes parts de façon qu'il ne puisse absolument pas étendre ses branches, quand tu le libérerais des années après, quelle sorte d'arbre deviendrait-il ? Sûrement un arbre inutile, aux branches recourbées et enchevêtrées. Et à qui la faute, sinon à toi, pour l'avoir enfermé exagérément ? Sûrement, c'est ce que vous faites de vos enfants. […] Vous les resserrez tellement de partout par la terreur, les menaces et les coups qu'ils ne peuvent avoir absolument aucune liberté. Aussi, opprimés sans discernement, ils accumulent, couvent et nourrissent en eux des pensées mauvaises et enchevêtrées comme des épines. […]. Parce qu'ils ne sentent en vous aucun amour, aucune bonté, aucune bienveillance ou douceur à leur égard, eux non plus par la suite n'ont aucune confiance qu'il y ait en vous quelque chose de bon, mais croient que toutes vos actions procèdent de haine et de malveillance envers eux.

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