Saint Augustin: comment apprend-on une langue?

Comment apprend-on une langue ?



A cette question, je vous propose la réponse de Saint Augustin, dans un extrait de son autobiographie Confessiones (Les Confessions), dont je vous propose une traduction un peu paraphrasée. Le texte original est à la fin.


"Pourquoi donc détestais-je la langue grecque, elle qui chante de si belles histoires ? Homère est un expert dans l'art d'élaborer des fictions, c'est le plus doux des menteurs... et pourtant, pour moi Homère était amer ! Je crois bien que pour les enfants grecs il en est ainsi de Virgile : ils sont contraints de l'étudier, comme moi, Homère.La difficulté, oh ! la difficulté d'apprendre une langue étrangère assaisonnait de fiel toutes les sucreries des histoires grecques. Je ne connaissais pas un mot de grec ; et je vivais dans la crainte perpétuelle, sous la menace de châtiments terribles qui me forçait à apprendre.




"Je ne connaissais pas le latin quand j'étais bébé ; et pourtant, je l'ai appris en l'écoutant, sans la moindre peur, sans le moindre tourment, entre les caresses des nourrices, les jeux et les rires. J'ai appris le latin sans que le poids de la peine ne m'y oblige, obligé seulement par mon cœur, mon âme qui accouchait de nouvelles choses, et qui ne pouvait rien enfanter si ce n'est au moyen des mots que j'apprenais des autres, non pas de professeurs, seulement de mon entourage qui parlait autour de moi ; et à l'oreille duquel je confiais ce que je sentais. On voit donc clairement que dans l'apprentissage, la libre curiosité a plus de force que la nécessité craintive.



"Celle-ci retient le flot de celle-là, grâce à tes lois, mon Dieu, grâce à tes lois qui, de la férule des professeurs jusqu'aux épreuves du martyre, nous rappellent à toi par de salubres amertumes, loin des charmes empoisonnés qui nous avaient éloignés de toi."

Ô les années passées à apprendre les déclinaisons. Les milliers d'élèves, les centaines de milliers d'élèves, les générations que l'on a soumis au rosa - rosam. Apprend-on parler, lire, comprendre en lisant des livres de grammaire? En s'acharnant à apprendre des tableaux? Le latin est-il un problème à résoudre ou une langue? Oh! Comme Augustin rend admirablement la sensation douloureuse de l'enfant terrorisé par la menace professorale, seul moyen trouvé par ses pédagogues de lui faire ingurgiter la langue grecque! Alors que nous avons sous les yeux la manière la plus simple d'apprendre une langue: observez les enfants, comme Augustin s'est observé enfant. Il est intéressant de noter, d'ailleurs, que ce problème de méthode existait au temps d'Augustin ; et a existé à toutes les époques. On peut même dire qu'à toutes les époques on peut observer les tenants de la férule et ceux de la méthode naturelle. Le père de Montaigne a voulu que son fils soit latiniste? Il l'a mis dans un bain de latin; son précepteur ne lui parlait qu'en latin; les nourrices, les domestiques, également : ils ne parlaient certainement pas le latin de Cicéron, mais en savaient suffisamment pour un usage quotidien. Ah, l'usage quotidien: c'est la fondation sur laquelle la maîtrise de la langue peuvent s'ériger. Savoir dire "passe moi le sel" en anglais n'est pas suffisant pour lire du Shakespeare; mais peut-on lire du Shakespeare sans savoir dire "passe-moi le sel", en anglais? Pour le latin, c'est bien ce qu'ont pratiqué les universités médiévales, les humanistes de la Renaissance, etc. : leur mode d'apprentissage était fondé sur le dialogue; et on a de nombreux manuels médiévaux de conversation ou de dialogues (colloquia latina).

Puissent un jour les programmes évoluer, et que l'on se remette enfin à parler latin et grec!


Texte original: 
Augustinus, Confessiones, I-14
[1,14] cur ergo graecam etiam grammaticam oderam talia cantantem? nam et Homerus peritus texere tales fabellas et dulcissime uanus est, mihi tamen amarus erat puero. credo etiam graecis pueris Vergilius ita sit, cum eum sic discere coguntur ut ego illum. uidelicet difficultas, difficultas omnino ediscendae linguae peregrinae, quasi felle aspergebat omnes suauitates graecas fabulosarum narrationum. nulla enim uerba illa noueram, et saeuis terroribus ac poenis ut nossem instabatur mihi uehementer.
nam et latina aliquando infans utique nulla noueram, et tamen aduertendo didici sine ullo metu atque cruciatu, inter etiam blandimenta nutricum et ioca adridentium et laetitias adludentium. didici uero illa sine poenali onere urgentium, cum me urgeret cor meum ad parienda concepta sua, et qua non esset, nisi aliqua uerba didicissem non a docentibus sed a loquentibus, in quorum et ego auribus parturiebam quidquid sentiebam. hinc satis elucet maiorem habere uim ad discenda ista liberam curiositatem quam meticulosam necessitatem.
sed illius fluxum haec restringit legibus tuis, deus, legibus tuis a magistrorum ferulis usque ad temptationes martyrum, ualentibus legibus tuis miscere salubres amaritudines reuocantes nos ad te a iucunditate pestifera qua recessimus a te.

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