L'Autorité (1) - un peu de latin.

Michelangelo Merisi da Caravaggio, La Vocation de Saint Matthieu, 1600. Eglise Saint Louis des Français, Rome.


On en parle. Avec méfiance, ou pour en faire l'éloge. Ceux qui s'en méfient l'accusent parfois d'entraver la liberté, ou de remettre en cause l'égalité ; ceux qui la louent affirment souvent qu'il serait nécessaire de la restaurer, car elle subirait une grave crise, etc.

Au sein de notre Ecole, nous ne pouvons nous passer d'une réflexion sur le sujet de l'autorité. Signe révélateur, nombreux furent nos professeurs à souhaiter que l'on parle de cette notion ; cet article sera le prolongement d'une réflexion déjà entamée lors de nos "Mardis".


Commençons par un peu de latin: revenons à l'origine du mot.

Auctoritas

...est un mot latin qui signifie:
  • l'autorité qui impose la confiance - la garantie
  • l'influence issue du prestige, le poids, la force conférés à une parole, à un acte
  • l'impulsion, l'instigation
Notons donc tout d'abord que le terme auctoritas ne signifie pas "pouvoir", ou "puissance" ; le latin a "potentia". La puissance peut. L'autorité n'est pas puissante ou impuissante: elle se situe à un autre niveau, celui de la confiance, de la fidélité, de la foi ; elle est comme mystérieusement auréolée d'un prestige ; elle est à l'origine de l'action, elle l' inspire; enfin, l'autorité est une impression de force, un poids.

Auctor

Auctoritas est un dérivé d' auctor ; auctoritas est la notion, comme tous les mots en -itas; auctor, comme tous les mots en -tor ou -trix est l'agent. Le processus est exprimé par le verbe "augere" (augeo, es, ere...), "augmenter".

  • Sens fondamental: l'auctor est celui qui augmente, celui qui accroît.
L' auctor au sens d'auteur vient de là (l'auteur d'un livre, mais aussi l'expression "auteur de ses jours", etc.) ; il crée en tant qu'il augmente la Création: c'est cela, créer, humainement (en effet, seul Dieu crée à partir de rien ; l'homme, lui, crée à partir du donné de la Création, et en ce sens, il accroît la Création)
  • de là, l' auctor est le garant, celui qui accroît la confiance, il est la source de l'action. C'est celui sans qui l'action n'est pas valide.
Le détenteur de l'autorité n'est pas celui qui agit, mais celui qui fait agir, & celui qui valide / qui confirme l'action accomplie par d'autres.

Je vous propose, pour comprendre le sens de ce mot latin, de le découvrir en contexte ; au cours de mes lectures, un passage de l'Histoire Romaine de Tite-Live a retenu mon attention. En voici le contexte. Après la mort de Romulus, le peuple demande un Roi, n'acceptant pas la domination du Sénat. On décide que c'est le peuple qui choisira son Roi. C'est ainsi que la Royauté romaine, ne suivant pas les règles dynastiques qui étaient de mise chez les Albains (descendants de Iule le fils d'Enée), devient une royauté par élection. Mais le Sénat aura tout de même son rôle à jouer dans cette élection.

Tite Live, Histoire Romaine (Ab Urbe condita libri), I,17,9:
Decreverunt enim, ut, cum populus regem jussisset, id sic ratum esset, si patres auctores fierent.
 Ce qui peut être traduit par:

Il décidèrent en effet que, quand le peuple aurait choisi un roi, cela serait validé si les Pères (= les Sénateurs) le ratifiaient - littéralement devenaient "auteurs"
 Poursuivons (ibid. 17,10): voici que l'interroi (interrex), le magistrat nommé pour assurer l'interrègne, convoque l'assemblée:
"quod bonum faustum felixque sit" inquit "Quirites, regem create; ita patribus visum est. Patres deinde, si dignum, qui secundus ab Romulo numeretur, crearitis, auctores fient". 
 C'est-à-dire:
Pour le bien, le bonheur et la prospérité, Citoyens, créez un roi ; tel est le voeu des Pères. Les Pères, alors, si vous en créez un digne d'être le successeur de Romulus, ratifierons votre choix (- seront "auteurs").
Ce passage montre bien ce que la langue latine entend par auctor: le détenteur de l' auctoritas ne prend pas la décision, il l'assume ; il ne décide pas, mais ratifie la décision ; il n'agit pas, mais confirme l'action ; il garantit l'action,  il en est la source ; coupée de celle-ci, elle n'existe même pas.

Conclusion


Premier enseignement: le détenteur de l'autorité doit avant tout inspirer ceux qui sont placés sous son autorité ; il est le garant du fonctionnement de la société qui lui est soumise, mais laisse agir ses subordonnés; les subordonnés décident et agissent, l'autorité assume. C'est ainsi que se trouve résolue l'apparente contradiction de la liberté: les subordonnés sont libres, car l'autorité rayonne : elle n'interfère pas avec l'agir libre de ceux qui dépendent d'elle, inspirés par son prestige qui suscite la confiance et valide la réalité même des actes posés.

A suivre.

Magister

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