L'Autorité (2) - l'Autorité dans la Bible

Nous autres pédagogues de notre École bien-aimée devrions avoir un regard attentif à ce que dit la Bible de l'autorité. En effet, nous collons à notre École l'étiquette de "chrétienne" ; cette étiquette constitue-t-elle une simple "identité", ou un être profond? Formulons des vœux pour que l'être soit en accord avec l'identité, et laissons-nous inspirer par la Parole, que nous proclamons Vérité. Nous serions bien légers et inconséquents si nous n'essayions pas de la mettre en œuvre.

Et que dit-elle de l'autorité, la Parole? Hé bien, ce qui pourra en surprendre certains, elle exprime une grande méfiance à l'égard, sinon de l'autorité, du moins de ceux qui en sont les détenteurs...

Notre thèse de départ est donc d'affirmer que la Bible, Ancien & Nouveau Testament, produit un discours particulièrement critique à l'égard de ceux qui exercent le pouvoir. Nous le démontrerons, puis nous en tirerons les conclusions qui s'imposent.

Quelques exemples

Quelques exemples, en effet, car nous n'essaierons pas d'être exhaustifs. 

Nous pouvons commencer par la galerie de portraits que propose le Nouveau Testament. Ces figures sont bien connues ; qui pourrait citer une figure d'autorité positive dans l'Evangile?
Hérode le Grand, Hérode Antipas, Caïphe, Ponce Pilate... Rois, gouverneurs, autorités religieuses rivalisent d'hypocrisie et de cruauté. Plutôt que de passer en revue ces personnages, ce que chacun pourra faire aisément de son côté, allons vers un texte moins évident:

Jean de Patmos, dans L'Apocalypse, chap. XVII

« 1 Et l'un des sept anges qui tenaient les sept coupes s'avança et me parla en ces termes : Viens, je te montrerai le jugement de la grande prostituée qui réside au bord des océans. 2 Avec elle les rois de la terre se sont prostitués, et les habitants de la terre se sont enivrés du vin de sa prostitution. 3 Alors il me transporta en esprit au désert. Et je vis une femme assise sur une bête écarlate, couverte de noms blasphématoires, et qui avait sept têtes et dix cornes. 4 La femme, vêtue de pourpre et d'écarlate, étincelait d'or, de pierres précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d'or pleine d'abominations : les souillures de sa prostitution. 5 Sur son front un nom était écrit, mystérieux : « Babylone la grande, mère des prostituées et des abominations de la terre. » 6 Et je vis la femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus. » 

Ici ce ne sont pas quelques figures historiques isolées; cette Babylone, c'est Rome, et d'une manière générale, c'est tout Empire. Dans le genre apocalyptique, où tout fonctionne par symbole, la Malédiction contre le pouvoir prend une ampleur universelle.

Dans l'Ancien Testament, on peut citer ceux qui sont a priori de bons rois, David, Salomon : mais même ceux-ci déçoivent et s'attirent les reproches du Seigneur, par la voix des prophètes. On pense à Nathan qui s'adresse ainsi au roi David (2ème livre de Samuel, XII), celui-ci s'étant débarrassé du mari de la femme qu'il convoitait :

07 (...) Ainsi parle le Seigneur Dieu d’Israël : Je t’ai consacré comme roi d’Israël, je t’ai délivré de la main de Saül,
08 puis je t’ai donné la maison de ton maître, j’ai mis dans tes bras les femmes de ton maître ; je t’ai donné la maison d’Israël et de Juda et, si ce n’est pas assez, j’ajouterai encore autant.
09 Pourquoi donc as-tu méprisé le Seigneur en faisant ce qui est mal à ses yeux ? Tu as frappé par l’épée Ourias le Hittite ; sa femme, tu l’as prise pour femme ; lui, tu l’as fait périr par l’épée des fils d’Ammone.
10 Désormais, l’épée ne s’écartera plus jamais de ta maison, parce que tu m’as méprisé et que tu as pris la femme d’Ourias le Hittite pour qu’elle devienne ta femme.
11 Ainsi parle le Seigneur : De ta propre maison, je ferai surgir contre toi le malheur. Je t’enlèverai tes femmes sous tes yeux et je les donnerai à l’un de tes proches, qui les prendra sous les yeux du soleil.
12 Toi, tu as agi en cachette, mais moi, j’agirai à la face de tout Israël, et à la face du soleil ! »

Mathias Scheuz, Nathan & David (1672)

Ancien Testament toujours. Nous parlions des prophètes, et par leur voix la condamnation des puissants est récurrente. Par exemple nous lisons chez le prophète Osée (VIII) :

"Les fils d'Israël ont établi des rois sans me consulter, ils ont nommé des princes sans mon accord... ils seront anéantis."

Nous avons ici une clé: se choisir des rois, c'est désobéir à Dieu. Cela peut être mis en lien avec un passage très intéressant du premier livre de Samuel: celui où le peuple veut un roi. Retraçons un peu l'Histoire Sainte à ce sujet:
Avant la Chute, l'homme vit en harmonie avec Dieu ; après la Chute, le peuple ne semble pas vivre dans une société hiérarchisée; l'autorité s'exerce ponctuellement, quand le besoin s'en fait sentir, par deux figures: le Prophète et le Juge.

Le Prophète intervient pour révéler la volonté de Dieu aux hommes: "ainsi parle le Seigneur".

Le Juge intervient quant à lui non pas pour organiser la société, mais pour exercer la justice, départager en cas de différend, ou mener l'armée à la guerre en cas de crise (cf. Jephté). Ainsi donc, Prophète et Juge n'interviennent que lorsque la situation l'exige ; la mise en place d'une royauté arrive tard dans la Bible: au premier livre de Samuel. C'est ainsi qu'en 1 Samuel VIII, 4 et suivants...

04 Tous les anciens d’Israël se réunirent et vinrent trouver Samuel à Rama.
05 Ils lui dirent : « Tu es devenu vieux, et tes fils ne marchent pas sur tes traces. Maintenant donc, établis, pour nous gouverner, un roi comme en ont toutes les nations. »

 Les Hébreux veulent un roi, comme les autres. Ils veulent faire comme les nations païennes, qui ont chacune leur roi...

06 Samuel fut mécontent parce qu’ils avaient dit : « Donne-nous un roi pour nous gouverner », et il se mit à prier le Seigneur.
07 Or, le Seigneur lui répondit : « Écoute la voix du peuple en tout ce qu’ils te diront. Ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent : ils ne veulent pas que je règne sur eux.

Passage crucial: Dieu affirme que l'homme n'a pas besoin d'autorité s'il est ajusté à Lui, s'il vit en harmonie avec Lui, s'il fait Sa volonté. En somme, si l'homme est Saint, il n'aurait pas besoin de quelqu'un pour exercer l'autorité.

08 Tout comme ils ont agi depuis le jour où je les ai fait monter d’Égypte jusqu’à aujourd’hui, m’abandonnant pour servir d’autres dieux, de même agissent-ils envers toi.
09 Maintenant donc, écoute leur voix, mais avertis-les solennellement et fais-leur connaître les droits du roi qui régnera sur eux. »
10 Samuel rapporta toutes les paroles du Seigneur au peuple qui lui demandait un roi.
11 Et il dit : « Tels seront les droits du roi qui va régner sur vous. Vos fils, il les prendra, il les affectera à ses chars et à ses chevaux, et ils courront devant son char.
12 Il les utilisera comme officiers de millier et comme officiers de cinquante hommes ; il les fera labourer et moissonner à son profit, fabriquer ses armes de guerre et les pièces de ses chars.
13 Vos filles, il les prendra pour la préparation de ses parfums, pour sa cuisine et pour sa boulangerie.
14 Les meilleurs de vos champs, de vos vignes et de vos oliveraies, il les prendra pour les donner à ses serviteurs.
15 Sur vos cultures et vos vignes il prélèvera la dîme, pour la donner à ses dignitaires et à ses serviteurs.
16 Les meilleurs de vos serviteurs, de vos servantes et de vos jeunes gens, ainsi que vos ânes, il les prendra et les fera travailler pour lui.
17 Sur vos troupeaux, il prélèvera la dîme, et vous-mêmes deviendrez ses esclaves.
18 Ce jour-là, vous pousserez des cris à cause du roi que vous aurez choisi, mais, ce jour-là, le Seigneur ne vous répondra pas ! »

 Passionnant passage, où l'on voit un peuple libre désirer ardemment un roi qui puisse les asservir. 

19 Le peuple refusa d’écouter Samuel et dit : « Non ! il nous faut un roi !
20 Nous serons, nous aussi, comme toutes les nations ; notre roi nous gouvernera, il marchera à notre tête et combattra avec nous. »
21 Samuel écouta toutes les paroles du peuple et les répéta aux oreilles du Seigneur.
22 Et le Seigneur lui dit : « Écoute-les, et qu’un roi règne sur eux ! » Alors Samuel dit aux hommes d’Israël : « Allez ! chacun dans sa ville ! »

En voulant un Roi, les Hébreux semblent rejeter la Royauté qu'a Dieu sur eux. C'est dire si l'autorité est suspecte dans la Bible.

Concluons.

La Bible critique l'autorité dans la mesure où les hommes ne devraient pas en avoir besoin ; l'état naturel de l'homme est de vivre en harmonie avec Dieu ; en d'autres termes, l'état naturel de l'homme est la Sainteté. L'état parfait est celle de l'anarchie originelle. Il n'y a pas de hiérarchie au jardin d’Éden.

Or, nous éprouvons des difficultés à être des Saints. Si nous étions tous Saints, nous n'aurions pas à recourir à la hiérarchie. Mais bien souvent, comme le peuple décrit dans l'Ancien Testament, nous nous détournons de Dieu. Nous y recourons donc. En définitive, qu'est-ce qu'un bon roi, autrement dit, qu'est-ce qu'un bon détenteur de l'autorité?

Réponse: c'est celui qui permettra à ses subordonnés de progresser en Sainteté. 

Je vous propose un dernier extrait, tiré une nouvelle fois du prophète Osée (II). L'épouse dont il est question est le peuple.

"Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai cœur à cœur. Là, elle me répondra comme au temps de sa jeunesse, au jour où elle est sortie du pays d’Égypte. En ce jour là - oracle du Seigneur - voici ce qui arrivera: Tu m'appelleras "Mon époux" et non plus "Mon Baal" (c'est-à-dire " mon maître ")

Que désire Dieu? D'être l'époux de son peuple, et non son maître. Époux-Épouse: état d'égalité parfaite et relation d'amour.

Retenons cela, si nous voulons exercer chrétiennement l'autorité :

• N'idolâtrons pas l'autorité, qui n'est, depuis la Chute, qu'un pis-aller. 
• Gardons à l'esprit que l'autorité peut être mal exercée: la Bible semble ne montrer que cela!
• Et souvenons-nous par dessus tout que l'autorité bien exercée est un mouvement d'amour à l'égard des subordonnés, et qu'elle cherche à les faire grandir en sainteté.

Magister