Méditation sur parole et jalousie

Musée du Louvre

Lundi 18 Février 6e semaine du temps ordinaire
Gn.41
ב וַתֹּסֶף לָלֶדֶת, אֶת-אָחִיו אֶת-הָבֶל; וַיְהִי-הֶבֶל, רֹעֵה צֹאן, וְקַיִן, הָיָה עֹבֵד אֲדָמָה 2 Elle enfanta ensuite son frère, Abel. Abel devint pasteur de menu bétail, et Caïn cultiva la terre.
ג וַיְהִי, מִקֵּץ יָמִים; וַיָּבֵא קַיִן מִפְּרִי הָאֲדָמָה, מִנְחָה--לַיהוָה 3 Au bout d'un certain temps, Caïn présenta, du produit de la terre, une offrande au Seigneur;
ד וְהֶבֶל הֵבִיא גַם-הוּא מִבְּכֹרוֹת צֹאנוֹ, וּמֵחֶלְבֵהֶן; וַיִּשַׁע יְהוָה, אֶל-הֶבֶל וְאֶל-מִנְחָתוֹ 4 et Abel offrit, de son côté, des premiers-nés de son bétail, de leurs parties grasses. Le Seigneur se montra favorable à Abel et à son offrande,
ה וְאֶל-קַיִן וְאֶל-מִנְחָתוֹ, לֹא שָׁעָה; וַיִּחַר לְקַיִן מְאֹד, וַיִּפְּלוּ פָּנָיו 5 mais à Caïn et à son offrande il ne fut pas favorable; Caïn en conçut un grand chagrin, et son visage fut abattu.
« La Bible dit que Caïn offre des produits du sol, et Abel un premier-né de son troupeau. C'est très différent. Les premiers-nés renvoient à la notion de prémices. Dans le Premier Testament, on apporte la première partie de son troupeau, ou de sa récolte, pour dire que tout ce que nous recevons vient de Dieu. Et, par reconnaissance, on offre à Dieu les premiers résultats de son travail. Quand j'étais pasteur en paroisse, on me demandait parfois : Que doit-on donner à l'Église ? Je répondais : Vous décidez en conscience, mais si vous décidez de lui donner 3% de vos revenus, faites en sorte que ce soient les 3 premiers pour cent de votre revenu, et non les derniers. Cela représente la même somme, mais donner les trois premiers manifeste un acte de foi, qui signifie que tout ce que nous avons appartient à Dieu. L'Épître aux Hébreux dit que c'est "par la foi" qu'Abel apporta son offrande, mais pas Caïn. L'auteur pensait qu'il y avait plus de foi dans l'offrande d'Abel que dans celle de Caïn qui, lui, n'offre qu'une partie quelconque de ses récoltes.
Mais je crois que ce n'est pas le cœur du texte. Ce qui est important, c'est qu'il dit que la différence existe dans notre monde. La grande question qu'il pose, c'est : Que faisons-nous de la différence ? Il y a autour de moi des gens plus doués, plus intelligents, plus riches que moi. Il y aura toujours des gens mieux dotés que moi de certaines qualités. Comment vais-je gérer cette différence, le sentiment de jalousie qui peut m'habiter ? Il me semble que c'est là le cœur du récit. »2
ו וַיֹּאמֶר יְהוָה, אֶל-קָיִןלָמָּה חָרָה לָךְ, וְלָמָּה נָפְלוּ פָנֶיךָ 6 Le Seigneur dit à Caïn; "Pourquoi es-tu chagrin, et pourquoi ton visage est-il abattu?
ז הֲלוֹא אִם-תֵּיטִיב, שְׂאֵת, וְאִם לֹא תֵיטִיב, לַפֶּתַח חַטָּאת רֹבֵץ; וְאֵלֶיךָ, תְּשׁוּקָתוֹ, וְאַתָּה, תִּמְשָׁל-בּוֹ 7 Si tu t'améliores, tu pourras te relever, sinon le Péché est tapi à ta porte: il aspire à t'atteindre, mais toi, sache le dominer!"
« Dieu lui demande : "Pourquoi es-tu abattu", et surtout il lui dit : "Le péché est tapi à ta porte comme une bête qui te convoite, mais toi, domine-le". Nous avons tous autour de nous des sujets de jalousie. Le texte nous dit que ce sentiment est une menace, et Dieu nous demande de le dominer. Ce sentiment est une bête prête à nous manger. La jalousie est quelque chose qui peut me ronger. Un verset des Proverbes dit que la jalousie est comme la carie des os. Dieu dit à Caïn que s'il s'abandonne à son sentiment de jalousie, il va se faire ronger de l'intérieur. (…) En plaçant le meurtre d'Abel par Caïn au tout début de l'histoire de l'humanité, la Bible nous rappelle que la violence extrême, fratricide, et la relation à l'autre dans sa différence, sont au fondement de notre humanité, de notre civilisation. On peut dire qu'une civilisation se juge à la manière dont elle régule cette violence première qui est évidemment destructrice pour toute société. »3
ח וַיֹּאמֶר קַיִן, אֶל-הֶבֶל אָחִיו; וַיְהִי בִּהְיוֹתָם בַּשָּׂדֶה, וַיָּקָם קַיִן אֶל-הֶבֶל אָחִיו וַיַּהַרְגֵהוּ 8 Caïn parla à son frère Abel; mais il advint, comme ils étaient aux champs, que Caïn se jeta sur Abel, son frère, et le tua.
« Le texte hébreu dit exactement au verset 8 : "Caïn dit à son frère Abel. Et quand ils furent aux champs, il le tua." La phrase "Caïn dit à son frère Abel" est rompue. On attendrait qu'il lui dise quelque chose, qu'il est jaloux, mécontent… Les commentaires de ce texte disent que c'est une rupture qui fait sens, qu'il y a là un grand silence. Caïn dit quoi ? Rien du tout. Les commentaires disent qu'une des causes de la violence, c'est justement qu'entre les deux frères, il n'y a pas eu de parole. Quand il y a de la jalousie qui n'est pas exprimée par des mots, quand il n'y a pas d'explication entre les frères, cela débouche sur de la violence. (…) les commentaires rabbiniques sont sévères aussi pour Abel. Abel aussi aurait pu aller voir son frère, le sachant miné par la jalousie, et les deux frères auraient pu s'expliquer. Caïn a tué Abel, mais la responsabilité de la violence est portée par les deux, parce que tous deux ont été incapables de parole pour tenter de surmonter leurs différends. »4
« Le Verbe, la Parole de Dieu, est l'image de Dieu (He 1,3)...; et l'homme véritable, l'esprit qui est dans l'homme, est image du Verbe. À cause de cela il est dit que l'homme a été fait « à l'image de Dieu et à sa ressemblance » (Gn 1,26), assimilé au Verbe divin par l'intelligence de son esprit... »5
La richesse des lectures de ce jour ne laisse plus de place à la faiblesse de mes mots, je serais tenté de me taire et d’en rester à un « copier-coller », … je propose juste une petite conclusion : le verbe peut-être « destruc-tueur » ou au contraire constructeur de relations humaines, il peut être de Dieu ou du diable. Mais l’absence de verbe, de parole, est toujours destructrice. Je ne sais pas comment il faut le dire mais la pire des choses est de ne rien dire : parlons, mal, tant pis, mais parlons !
2 Antoine Nouis, pasteur de l'Eglise réformée de France, directeur de la rédaction de l'hebdomadaire Réforme. In https://croire.la-croix.com/Definitions/Bible/Ancien-Testament/Pourquoi-Cain-a-t-il-tue-Abel
3ibid
4ibid
5 Saint Clément d'Alexandrie (150-v. 215) théologien Protreptique, ch. 10 (trad. cf SC 2, p. 158s et Tournay)

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