Exégèse de lieux communs : "Là-haut il..." et "ils ont rejoint la maison du Père".


Ceux-là sont redoutables, et j'irai même jusqu'à dire que nous touchons avec eux la crise de la Foi, la crise de l’Église, la crise de la Pratique, la crise des Vocations.

Il y a, d'une part, le fameux "Là-haut, il..." qu'on retrouve immanquablement dans les conversations sur les défunts, dans les oraisons funèbres, dans les sermons même. Tel philosophe meurt ; l'énormité du lieu commun viendra plomber le sermon: "là-haut, assurément, il continue de philosopher avec les anges..." (entendu réellement, et pas pour un petit philosophe ; et pas dans la bouche d'un curé de campagne, mais, récemment, d'un authentique prélat). C'est un incontournable. Pourquoi pas "Il aimait tant la pétanque! Là-haut, assurément, il joue aux boules avec Saint Pierre" ?

Confrontés à la mort, on a tant de mal à sortir de l'humain! Il faudrait donc que le clergé lui-même, dont la mission  est, dans ces instants douloureux, de nous aider à nous tourner vers le Christ, continuât à nous forcer à garder les yeux braqués vers la terre?

Et puis, il y a le fameux "Ont rejoint la maison du Père..." C'est l'euphémisme banalisé à l'extrême. Euphémisme: figure d'adoucissement d'un mot trop dur ; la mort. L'image de la maison du Père est bien rassurante: la maison, c'est le foyer paternel, il y a là-dedans comme un parfum de retour au bercail, de home sweet home. C'est notre provenance et notre destination. 

Mais quelle assurance troublante dans ce passé composé! Pourquoi ne pas dire: "en chemin vers la Maison du Père"? Ainsi donc, on en est sûr? ça y est, c'est gagné? Ils y sont? Ils triomphent? C'est le Salut, la Vision Béatifique? Ils sont Saints, finalement? 

On ne va pas jusque là, car l'euphémisme fonctionne dans les deux sens. C'est ici un adoucissement du milieu qui évite de tomber dans les extrêmes. Une expression médiocre, en fait. Pourtant, quelle arrogance, extrême pour le coup, dans ce "ont rejoint la maison du Père"! Comment en sont-ils si certains?

Non! non, nous ne sommes pas sûrs du destin des âmes après leur mort. On range trop facilement mamie au Paradis. Comme pour s'en débarrasser, comme pour mieux l'oublier. Et nous dispenser de prier pour elle. Par cette astuce, le cas des morts semble réglé une bonne fois pour toutes. 

C'est oublier trop facilement qu'ils ont besoin de notre prière, la bonne vieille prière pour les âmes du Purgatoire. L'on dira que c'est une vieillerie médiévale; et je sais bien qu'au vingtième siècle, avec le Concile, on a voulu enjamber le Moyen-Âge, pour aller directement à l'Antique, pour retrouver "l'esprit" des débuts du christianisme. Soit. Mais les premiers chrétiens eux-mêmes priaient pour les morts. S'ils priaient pour eux, c'est qu'ils pensaient que leur prière valait quelque chose, que leurs morts avaient besoin d'elle. C'est dire s'ils croyaient, sans pour autant employer ce mot, au Purgatoire. C'est dire leur Espérance, en fait.

Ah, ça, pour prier pour les malheureux d'ici-bas, il y a du monde; mais qui prie pour les défunts*? Mais il y a pire. Si je ne crois pas au Purgatoire, si je ne tiens pas pour effectives les réalités des fins dernières que sont l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis, que vaut ma Foi? Suis-je libre? Que vaut mon passage sur Terre, si Dieu m'a, de toute éternité, réservé une place auprès de Lui? Puis-je refuser? Puis-je accepter? Puis-je coopérer avec Lui? Suis-je encore libre d'aimer, s'Il me force à L'aimer?

Et puis, quel est ce Paradis au rabais, où tout le monde va?
L'Eglise, et même l'Ecriture - n'en déplaise à nos frères protestants** - l'enseigne: il y a des Justes, il y a des Saints. Par leur héroïsme, ils ont révélé l'action de Dieu dans leurs vies. Nous pouvons affirmer avec certitude qu'ils sont au Paradis. Tous ceux dont nous affirmons à la légère qu'ils ont rejoint la Maison du Père, qu'ils sont "Là-Haut", à philosopher ou jouer aux boules, sont donc des Saints... Or vous voyez bien que ceux qui usent de cette expression n'y croient pas: leur Paradis n'est en fait pas peuplé de Saints, mais ressemble à un départ à la retraite. Les funérailles, un pot de départ.

Tout ça ne vaut rien, et explique pourquoi nous vivons, dans ce qui reste de l'Eglise visible, en sous-chrétiens. Prêts à toutes les solidarités***, peu enclins à changer notre propre vie de manière radicale. Un peu d'humanitaire le week-end, comme un hobby, un chèque à telle organisation humanitaire (ce qu'on nommait les bonnes œuvres) pour acheter sa bonne conscience - mais on ne touche pas à son petit confort, à son SmartPhone, à son voyage en Inde, à ses médisances, ses mesquines jalousies, son conformisme plat, sa haine du prochain proche**** : ça pour les chrétiens de gauche. Ceux de l'autre bord, la droite du Christ, qu'ils aiment l'Eglise! Mais attention: l'Eglise de l'Ordre et de la Morale, bien entendu, l'Eglise du Patrimoine, de nos bonnes vieilles racines, notre bon vieux décor... et on ne touche à rien de son petit confort, son petit SmartPhone, son voyage aux Seychelles, ses médisances, ses jalousies, son conformisme, sa haine, etc.

Mais je reviens à notre sujet. Nous touchons, avec ces lieux communs funèbres, à la mère de toutes les crises, qui est la crise de l'espérance. Espérer l'union à Dieu ne va pas sans la crainte de la séparation. Si nous ne craignons plus d'être séparés de Lui, immanquablement, nous cesserons d'espérer; la désespérance se logera dans une curieuse acédie optimiste. L'acédie, c'est l'ennui, l'apathie, l'absence de désir, l'affaissement de la volonté, le découragement, le dégoût de la prière. Cette acédie-ci est enrobée du sucre de l'optimisme béat, qui fige dans son miel la foi et l'action du chrétien.

Chrétiens, mettez-vous à la place de celle ou celui qui, éloigné de la foi, vient à l'occasion du décès d'un vieux parent, assister à une messe de funérailles, et entend ces lieux communs du "Là-haut" et du "a rejoint la maison du Père". Il s'en retournera, après avoir été de telle manière informé sur le sujet des fins dernières, convaincu que, chrétien ou non, l'issue finale sera la même. Voilà comment on vide les églises; voilà comment on pervertit gravement le message du Christ. Voilà comment on est de piètres disciples de notre Seigneur; voilà comment on compromet le destin des âmes. 

Ite, demissi estis.

MAGISTER


NOTES:
* Anecdote. Lors de nos Vêpres du Jeudi, au Lycée Saint Jean, au moment des intentions de prière, on formule les prières que l'Eglise nous offre. Puis vient le moment des "intentions libres", où chacun formule la prière qu'il veut. On entend alors des adultes - des professeurs - prier pour les familles, les élèves, les collègues, les salariés de l'Ecole... on entend souvent les adultes, bien moins souvent les élèves, peut-être intimidés. Un soir, une élève de première s'exprima. Elle dit, avec sa toute petite voix: "...pour les âmes du Purgatoire..." ô innocence! des prières d'adultes où l'on ne songe qu'à offrir à Dieu notre monde humain, cette jeunesse nous plongea directement dans l'Ailleurs, et dans notre seule Espérance, le Ciel.
** cf. Saint Paul, 2 Thessaloniciens, I, 10: "quand il viendra en ce jour-là pour être glorifié dans ses saints (in sanctis suis - ἐν τοῖς ἁγίοις αὐτοῦ) et admiré en tous ceux qui ont cru"
*** mais ai-je besoin de l'Eglise pour être solidaire? C'est ce qu'a compris l'immense foule qui a quitté cette "Eglise de la Solidarité" pour rejoindre, plus simplement et en toute logique, les Partis, les Syndicats, les O.N.G.
**** l'amour du prochain lointain étant l'alibi servant à maltraiter le prochain proche: sa femme, son parent, son enfant, son ami, son collègue, son voisin, son concitoyen ...

Commentaires

  1. "Seigneur, faites miséricorde aux âmes des fidèles qui souffrent dans le Purgatoire!"

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