Guérir l'allergie aux Psaumes

Un ami, un homme d'expérience pour qui j'éprouve un grand respect, m'a dit un jour être "gêné" par les psaumes. Qu'un homme à la culture profonde, chrétien fervent, puisse avoir les psaumes en aversion m'alerta. J'ai pensé que si lui pensait cela, bien des chrétiens devait penser de même. Je contribuerai donc, dans ce petit article, à la défense de ces cent cinquante poèmes de l'antiquité, et de leur place dans notre vie de prière. La question posée ici est simple: que faire de la violence de certains psaumes? Quelques éléments.

Tout d'abord, considérons comme une chance de pouvoir prier avec les psaumes, car c'est prier avec les paroles mêmes que Jésus et Marie ont employées quand ils priaient eux-mêmes. Le Magnificat de Marie, quand elle veut exprimer sa joie, est tout entier construit sur des psaumes: c'est dire si la prière de Marie devait être profondément modelée sur ces psaumes, qu'elle connaissait d'évidence par cœur. Et c'est bien sûr le cas de Jésus, qui même dans les tortures les plus atroces, sur la croix, avant d'expirer, s'adresse à son Père au moyen d'un Psaume, le psaume 21: 
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?
On pourrait se demander au passage pourquoi Jésus adresse cette prière désespérée à son Père... c'est que nous connaissons mal le psaume 21, justement! Car s'il commence par un long poème du désespoir, voilà qu'au verset 22 le psalmiste s'exclame:
tu m'as répondu!
Et ensuite (verset 25) :
il n'a pas rejeté, il n'a pas réprouvé le malheureux dans sa misère ; il ne s'est pas voilé la face devant lui, mais il entend sa plainte.
Même au fond du désespoir, quand nous avons l'impression que Dieu nous abandonne, le psalmiste prend conscience de la présence de Dieu qui n'abandonne pas le malheureux.

Revenons à notre sujet : si nous voulons imiter Jésus (c'est l'objectif de tous les chrétiens), apprenons les psaumes, comme lui, qui les connaissait par cœur. Gageure? Certainement. Et c'est aussi certainement la raison pour laquelle la liturgie des Heures est à ce point fondée sur les psaumes. Profitons-en pour rendre grâce pour les moines et moniales contemplatifs, qui récitent pour nous les psaumes à longueur de journée, à longueur de vie. Et puissent les élèves (et les professeurs) être toujours plus nombreux à nos vêpres du lundi et du jeudi au lycée.

Mais venons-en au fond de notre sujet. Nous pouvons à bon droit être choqués de certains psaumes, comme cela peut être le cas de certains passages de l'Ancien Testament. Prenons par exemple le psaume 57 (58)
07 Dieu, brise leurs dents et leur mâchoire, Seigneur, casse les crocs de ces lions :
08 Qu'ils s'en aillent comme les eaux qui se perdent ! Que Dieu les transperce, et qu'ils en périssent,
09 comme la limace qui glisse en fondant, ou l'avorton qui ne voit pas le soleil !
10 Plus vite qu'un feu de ronces ne lèche la marmite, que le feu de ta colère les emporte !
11 Joie pour le juste de voir la vengeance, de laver ses pieds dans le sang de l'impie !
On comprend que le chrétien pétri de la parole du Christ au mont des Béatitudes puisse être rebuté par de tels développements. Certains se sont même posé la question de laisser de côté l'Ancien Testament, à cause de tels passages, en apparence si contradictoire avec le message du Christ. C'est le Marcionisme, du nom de Marcion qui pensait que, le Dieu d'Amour du Nouveau Testament étant si différent du Dieu Vengeur de l'Ancien, il fallait ne conserver que l'Evangile, et exclure le livre des Hébreux. Proposition que l'Eglise, dans sa sagesse, a refusée. Pourquoi? Jésus l'a dit lui-même aux disciples d'Emmaüs (Mt. XXIV-27)
... et, commençant par Moise, et ensuite par tous les prophètes, il leur expliquait dans toutes les écritures ce qui avait été dit de lui
Ou encore chez Luc, XXIV-44
Puis il leur déclara : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. »
Ainsi, l'Ancien Testament - et donc les psaumes - annoncent le Christ. Ils l'annoncent explicitement dans certains passages sur la venue du Messie, mais il faut considérer que tout l'Ancien Testament préfigure le Christ. C'est une préparation au Nouveau Testament. On ne saurait lire l'Ancien Testament sans avoir le Nouveau à l'esprit.

Donc la posture du chrétien qui lit ou prie les psaumes doit être celui d'un chercheur. Il cherche le Christ dans les psaumes. Il faut aborder un psaume avec la conviction que le Christ y est présent ; comme dit Saint Augustin,
Que votre charité examine ce psaume, afin d'y chercher le Christ*.
 Sachons lire les psaumes, donc. Et pour les psaumes de la violence, un effort de lecture est nécessaire, pour déceler ce qui se cache derrière les mots. Nous avons à notre disposition une technique d'analyse littéraire qui a traversé les siècles, celle des quattuor sensus. Cette technique part du présupposé qu'un texte possède des sens cachés que le lecteur doit décrypter. Quatre sens (sensus) se dégagent : le sens littéral, ou historique; le sens allégorique; le sens moral; le sens anagogique. Comme le résume ce distique attribué à Augustin de Dacie (XIIIe s.) :
Littera gesta docet, quid credas allegoria,
Moralis quid agas, quo tendas anagogia
C'est-à-dire: la lettre enseigne les faits historiques; l'allégorie ce que tu crois; la morale ce que tu fais; l'anagogie ce vers quoi tu vas.

Prenons le psaume cité plus haut. On le lira d'abord littéralement, pour ce qu'il est: un psaume que l'on rangera dans la catégories des "psaumes imprécatoires".** Ne soyons pas choqués; pensons au peuple hébreu, à ses difficultés dans son antiquité, à ses accès de colère et de désespoir si humains, et à sa manière de considérer Dieu, non encore transfigurée par la venue du Christ. Les psaumes abordent tous les sentiments et émotions humains; pourquoi en exclure le dépit, la rage de l'homme impuissant à rendre les coups qu'on lui donne? Le psalmiste est ici le juste humilié par l'impie: ce qu'il ne peut pas faire, il le dit. Le psaume prend une fonction d'exutoire. En outre, on notera que ces formules s'adressent à Dieu ("Dieu, brise leurs dents et leur mâchoire"): comme l'écrit le P. Patrick Faure**, "le psalmiste montre ici qu'il abandonne à Dieu le soin de faire justice et que lui-même, ce faisant, s'en défait et renonce à l'exercer par sa propre volonté".

Dans un second temps, cherchons le sens allégorique. Ces ennemis représentent nos péchés, ou les démons qui pervertissent notre imagination. Dans un sens moral, ces ennemis sont les vices, et nous voyons avec quelle force nous devons lutter contre, sans complaisance. Dans le sens anagogique (le sens le plus spirituel, ce vers quoi l'âme tend), nous cherchons ce Dieu qui nous libère du péché; nous nous abandonnons à lui, comme nous l'avons vu avec le sens littéral. C'est dans cet abandon même que réside le mouvement de la prière, et la vie du chrétien.

Nous voyons, en guise de conclusion, l'exigence qui préside à la prière des psaumes: qu'on prenne du temps. Et que nous évitions la passivité d'une lecture mécanique, pour être "chercheurs du Christ" dans les Psaumes. La vie de prière exige du temps... à nous d'organiser nos journées, et de connaître nos priorités***.

MAGISTER

* Saint Augustin, Discours sur les psaumes, 98.1
** Ces réflexions sur les psaumes "imprécatoires" tirent leur source de P. Patrick Faure, Des chemins s'ouvrent dans leurs coeurs, étude et méditation des psaumes, Parole et Silence, 2007.
*** et par exemple, si quelqu'un ressent je ne sais quelle insatisfaction à ne pas avoir très bien compris la première lecture (vétérotestamentaire) ou la deuxième (le plus souvent paulinienne) de la messe dominicale dans sa forme ordinaire, qu'il prenne ses responsabilités, et qu'il lise les textes de la messe avant la messe, qu'il prenne un missel pour être plus attentif pendant la messe, ou encore qu'il les relise après la messe. Avoir conscience de l'exigence d'être chrétien, et prendre ses responsabilités. La lecture des textes de la messe du jour, au moins l'Evangile ; la lecture d'un livre de formation chrétienne (par exemple les commentaires d'un saint sur l'écriture); l'oraison; trois activités qui devraient faire partie du plan de vie quotidien du chrétien. On ne reprochera pas au paysan illettré du Moyen-Âge de ne l'avoir pas fait. Pour ce qui nous concerne, ce sera une autre histoire.

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