Lamartine sur l'Enseignement: à bas la civilisation de la Machine!

(...) permettez-moi, en finissant, de protester contre cette malheureuse tendance à rendre l'enseignement exclusivement spécial, scientifique, mathématique. Qu'est-il autre chose que l'application du matérialisme du dix-huitième siècle à l'éducation? Ce système, c'est la division du travail, principe admirable, mais exagéré, et qu'on veut appliquer même aux facultés intellectuelles, même aux facultés de l'âme, comme si l'âme et l'intelligence pouvaient se scinder en facultés distinctes dont on peut cultiver l'une et négliger les autres sans porter atteinte à son ensemble? C'est ravaler la plus noble partie de notre être à la condition de nos membres corporels qu'on peut dresser exclusivement à tel ou tel exercice. Mais l'âme, mais l'intelligence au contraire n'est qu'harmonie de toutes nos facultés morales, et c'est cette harmonie qui constitue la conscience et le génie; la conscience et le génie, vous n'oubliez que cela dans votre système! La conscience et le génie, qu'est-ce qui les produit, qu'est-ce qui les développe? Est-ce le calcul? sont-ce les mathématiques, la seule science qui ne sent pas, qui ne pense pas, qui ne raisonne pas? Non; ce sont les études morales que vous reléguez dans les inutilités! Qu'arrivera-t-il ainsi? vous aurez un peuple, d'admirables ouvriers propres à faire des ponts, des chemins de fer, des tissus, des cotons, des draps; mais est-ce là tout l'homme? L'homme est-il une machine, un outil exclusivement façonné à gagner plus de salaire, à produire le plus de résultat matériel possible dans un temps donné? l'homme n'a-t-il qu'une fin mercantile, industrielle, terrestre? Alors le système des enseignements spéciaux serait parfait.
     Mais ne l'oublions pas, Messieurs, cette doctrine ravale la nature humaine; l'homme a une autre fin, une fin plus noble, une fin plus divine que de remuer des pierres et de la terre ici-bas; la fin de l'homme, c'est la pensée, la conscience et la vertu, et le Créateur de la divine pensée humaine ne demandera pas seulement aux civilisations si elles ont formé d'habiles ouvriers, d'utiles industriels, de nombreux travailleurs, mais si elles ont élevé,  ennobli, agrandi, moralisé, dignifié cette pensée humaine par l'exercice de toutes les facultés qui constituent l'homme.

Alphonse de Lamartine, discours prononcé à la chambre des députés le 24 mars 1837



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