L'apologétique pour les jeunes (n°1 de la série): "Credo in Deum"


 Apologétique: art de défendre de manière cohérente une position. Notre ami Scorfa, qui assume lui aussi, et avec nous, la charge de professeur, nous livre le fruit d'années d'échanges avec de jeunes élèves en cours d'instruction religieuse. Au final, c'est une petite somme d'apologétique que nous vous proposons ici, sous forme de réponses à des questions fréquemment posées par les adolescents, et que Scorfa a classées selon 12 articles de la profession de foi (credo) des Apôtres. Nous vous en livrerons un par mois: cela constituera notre série de 2020. Magister.

Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre,

Pierre : « Est-ce qu’être athée ne serait pas le comportement le plus rationnel à adopter ? La science a-t-elle vraiment mis fin à la religion ? La science discréditera-t-elle un jour entièrement la religion ? le rôle de la science n’est-il pas de connaître l’Inconnu et donc de détruire la religion ? la science ne fait-elle pas reculer la religion ? La science fait-elle peur à l’Eglise ? Comment peut-on croire que Dieu a créé l’univers et l’homme ? »


10 ans que j'en parle à mes élèves, 45 ans que je le répète tous les dimanches à la messe, on pourrait comme ce rabbin qui a passé sa vie à méditer sur la première lettre de la bible {ב} passer une vie sur cette phrase. Jamais je n'arriverai à en faire le tour, tant il y a de choses à dire, c'est le propre d'un mystère. Mais sans préjuger de nos force ni désespérer de notre travail par avance, en fidèle biologiste, disséquons-la pour la comprendre, ça ne lui fera pas mal, et ne peut que nous faire du bien.

« Je crois » a plusieurs sens, comme tout mot. Sans vouloir jouer sur les mots, « je crois en Dieu » n'a pas le même sens que « je crois que Darwin a raison ». Essayez d'inverser les mots Dieu et Darwin entre les guillemets précédents et vous voyez que ces propositions perdent leur sens, preuve que les deux verbes n'ont pas le même sens. Le premier croire est affirmatif, choix ; le second est dubitatif, hypothèse. Croire a deux sens : j'adhère ou je pense que... On rejoint l'opposition apparente entre science et religion, l'une doute et évolue ; l'autre croit et découvre. La religion se construit sur des choix ; la science sur des hypothèses. « Toute interprétation se prête à être réfutée. C’est l’une des exigences de base de l’argumentation en sciences naturelles »1 écrit Joseph Reichholf, professeur de l’université de Munich. Une vérité scientifique est donc vraie jusqu’à ce que l’on prouve qu’elle était fausse ! Et le biologiste Jean Rostand : « Beau mot que celui de chercheur et si préférable à celui de savant ! il exprime la saine attitude de l'esprit devant la vérité : le manque plus que l'avoir, le désir plus que la possession, l'appétit plus que la satiété. »2 Le géologue Claude Allègre explique pourquoi la science ne semble pas sûre d'elle : « la certitude du savoir entraîne le dogmatisme […]. La science cherche à comprendre ces “ mystères ” [du monde] par la raison et elle est donc par définition limitée par les capacités du cerveau humain. Elle est donc vouée à des “ vérités ” successives, à des “ certitudes ” provisoires. »3

Science et religion ne répondent pas aux mêmes questions. « Dans sa préface sur le traité du vide en 1647, le scientifique et philosophe Blaise Pascal propose de séparer science et théologie qui relèvent, selon lui, de registres différents. »4 Ne demandez pas le sens de votre vie à votre médecin ni un traitement contre le rhume à votre curé : à chacun son domaine. « La Bible ne veut pas enseigner comment a été fait le ciel mais comment on va au ciel. »5 dit Jean Paul II. La religion cherche pourquoi ; la science cherche comment … sur le même objet : le monde, l'humanité, ... et les deux cherchent. D'où les confusions de terrain possible qui mènent aux extrémismes scientistes, fondamentalistes ou concordistes, tous hérétiques. « En gros, on peut dire que le fait d'une existence donnée et les conditions de l'existence (le "comment") sont du domaine scientifique, tandis que les raisons de l'existence (le "pourquoi") relèvent de la métaphysique » déclarait le scientifique Lucien Cuénot (1866-1951). La Bible nous dit elle même : « je ne sais pas comment … » en 2 Mac.7.22. Science et foi devraient donc être vues comme complémentaires. La science ne fait pas peur à l'Eglise, l'Eglise encourage la science comme nous le verrons plus loin.

Dieu le Père tout puissant pourrait-il avoir peur de la science ? S'Il existe, c'est une question idiote. Et s'Il n'existe pas comment se fait-il qu'Il résiste à la science depuis que l'homme existe ? Comment la science ne L'a-t-elle pas encore éradiqué ? Car la science est loin d'avoir mis fin à la religion. Aucun scientifique digne de ce nom n'ose y prétendre et avoir réponse à tout. Au contraire, les meilleurs sont les plus libres vis à vis de leurs découvertes, et surtout les plus humbles aussi. Ils savent, comme Socrate, déjà 400 ans avant JC, que plus on sait, plus on sait qu'on ne sait rien. Le mot science a lui-même beaucoup évolué. Avant la renaissance, toute étude, discours intellectuel était considéré comme science. C'est d'ailleurs la signification étymologique des mots latin scientia et grec logos {λογος} qui termine de nombreux noms de disciplines (biologie, géologie, écologie, physiologie, …). Pascal ou Descartes étaient donc autant scientifiques en faisant de la philosophie que des mathématiques (le mot venant du grec qui signifie savoir, on tourne en rond !). En 1644, René Descartes « formule dans les principes de la philosophie son postulat d'objectivité6, où il explique que les sciences doivent se concentrer sur le « comment » et non sur le « pourquoi » des phénomènes. »7 En 1750, Emmanuel Kant publie Critique de la raison de juger considérant comme sciences « exactes » celles qui sont basées sur des mesures, des chiffres, des faits ... ayant donc des airs d'objectivité car dépendant moins des sens humains de l'observateur, de l'interprétation par un sujet, donc de la subjectivité. Mais le mot science a longtemps désigné ce qu'il veut dire étymologiquement : étude, discours. Hildegarde von Bingen (1098-1179) écrivait aussi bien de la théologie que de la médecine, les deux « sciences » n'étant pas séparées, aucune n'ayant l'air plus sérieuse et digne de foi que l'autre. Je m'étonne d'ailleurs chaque fois qu'un scientifiques présente l'histoire de sa science, de l'entendre passer de l'antiquité à la renaissance sans sourciller, comme s'il ne s'était rien passé ente les deux, pendant 1 000 ans ... comme si la moitié de notre histoire n'avait rien produit ni pensé ? Je crois qu'il est temps de reprendre en histoire des sciences le mot de Ponce Pilate : « qu'est-ce que la vérité ? »8

Créateur du ciel et de la terre. Le concile de Nicée rajoute « de l’univers visible et invisible ». Si la science théorise le big bang et l'évolution, elle ne donne pas de responsable. Nicolas Mignerey fait le point : « trois possibilités s'offrent à nous. Ou c'est le résultat d'une volonté divine (…). Ou nous avons bénéficié d'un coup de chance tout à fait extraordinaire. Ou, enfin, une infinité d'univers différents existe indépendamment du nôtre. »9 Le dieu à Zard a bon dos, facile de lui refiler tout ce qu'on ne sait pas expliquer. « Le hasard, c'est Dieu qui se promène incognito » disait Albert Einstein. Or « La probabilité mathématique pour que l’univers ait été engendré par le hasard est pratiquement nulle (...) un seul essai au hasard sur terre aurait suffit à épuiser l’univers tout entier  (...) ce que nous appelons hasard n’est que notre incapacité à comprendre un degré d’ordre supérieur » disent les frères Bogdanov10. Et Francis Crick, prix Nobel en 1962 pour la découverte de la structure de l’ADN : « un honnête homme armé de tout le savoir à notre portée aujourd’hui se devrait d’affirmer que l’origine de la vie paraît actuellement tenir du miracle, tant il y a de conditions à réunir pour la mettre en œuvre ». Je crois donc en Dieu, oui mais alors le Bon, le Bien & le Beau. Je ne vais pas me fatiguer pour un demi-dieu ou un vague esprit du fin fond des bois. « Dieu est Dieu nom de Dieu » a crié Claudel. S'Il est Dieu, Il est tout, Il EST, Vérité, Puissance, Force, … bref tout adjectif positif. Essence de l'être, il a donc aussi tout créé. Pour autant je ne crois pas au Dieu Horloger de Voltaire qui a tout fait en six jours et nous regarde depuis le septième jour du haut de son nuage, nous débattre avec sa création finie (et ses colères !). Je crois en un Dieu qui crée à chaque instant, encore maintenant, toujours et partout. Je ne crois pas non plus en un Dieu qui a tout dessiné par avance, un « design intelligent supérieur », qui nous aurait donc prédestiné, programmé par avance, donc sans aucune liberté réelle. Je crois en un Dieu qui crée par nous et pour nous.



Quant à être athée, c'est pour moi la plus grande des naïvetés : croire qu'il n'y a rien qui nous dépasse, ça me dépasse, se contenter du matérialisme sans pensée sur nos origines, me désespère. Il suffit de regarder une fleur, l'aveuglement de n'y voir qu'un pistil me sidère ; d'admirer l'amour entre humains, la bêtise de n'y voir que des hormones me fait pouffer de rire. Comme dit Pierre Gardeil qui n'y allait pas avec le dos de la cuillère : « la seule attitude [intellectuelle] incorrecte d’avance c’est l’athéisme ; car pour savoir qu’il n’y a pas de Dieu, il faudrait savoir tout ce qu’il y a »11 Attention : il faut bien distinguer l'athée de l'agnostique. L'athée, le vrai le pur, le dur, est rare, beaucoup de ceux qui se proclament athées sont en fait agnostiques : ils ne savent pas si Dieu existe ou pas, (en fait ils s'en foutent pour la plupart, qu'il y ait ni Dieu ni diable les arrangerait plutôt pour leur quotidien matériel). C’est aussi une forme de lâcheté et de paresse : « je ne veux pas le savoir : trop compliqué, trop angoissant…. » avec un peu d’orgueil : « et si j’étais obligé de suivre les commandements de l’Eglise ? Et mon confort ? et mon égoïsme ? »

La question de l'existence de Dieu est une aporie, du grec aporia {απορια} qui signifie “ situation sans issue ”, une question qui n'a pas de réponse, une « difficulté insoluble, un problème d’où l’on ne peut sortir, une confrontation (sans solution) de deux opinions contraires. »12. Car personne ne peut prouver scientifiquement l'existence ni la non-existence de Dieu. La science n'a rien à dire à ce sujet car Dieu ne peut être objet de science « exacte » : il n'est pas factuel, il n'est ni dans le temps ni l'espace et ne peut donc se mesurer. J'ai ouï dire d'un scientifique de renom qu'avant le big-bang il ne peut y avoir de question scientifique : ni temps ni espace mesurable. On est aujourd'hui encore plus prudent : « le Big Bang n'est pas l'instant zéro (…) Une nouvelle physique est à inventer pour ce monde, qui pourrait ne pas avoir d'origine. »13 Un athée a donc fait un choix, comme moi, mais le choix contraire : le choix de croire que Dieu n'existe pas. Il n'a pas plus de preuve que moi de l'existence de Dieu. Et heureusement : il en va de notre liberté.

Texte et dessins: SCORFA




1Joseph Reichholf L’émergence de l’homme. Flammarion. 1991. P.12
2Michel Cool. Les nouveaux penseurs du christianisme. Desclée de Brouwer. 2006. p61
3Claude Allègre. Dieu face à la science. Fayard. 1997. P.97
4Karl Pouillot, Les grandes étapes du débat, Dossier de La recherche, n°48, avril 2012. p.14
5Jean Paul II cité par P.Portier. Théorie de l'évolution et religions. Actes académiques, Riveneuve Editions. p.135.
6« Qu'il ne faut point examiner pour quelle fin Dieu a fait chaque chose, mais seulement par quel moyen il a voulu qu'elle fût produite. Nous ne nous arrêterons pas aussi à examiner les fins que Dieu s'est proposées en créant le monde, et nous rejetterons entièrement de norte philosophie la recherche des causes finales ; car nous ne devons pas tant présumer de nous-même, que de croire que Dieu nous ait voulu faire part de ses conseils : mais, le considérant comme l'auteur de toutes choses, nous tâcherons seulement de trouver par la faculté de raisonner qu'il a mise en nous, comment celles que nous percevons par l'ntremise de nos sens ont pu être produites ; et nous serons assurés, par ceux de ses attributs dont il a voulu que nous ayons quelque connaissance, que ce que nous aurons une fois aperçu clairement et distinctement appartenir à la nature de ces choses a la perfection d'être vrai. » René Descartes, Principes de la philosophie, I, 28, in Oeuvres philosophiques, t.III, Garnier, 1963-1973, p.108
7Karl Pouillot, Les grandes étapes du débat, Dossier de La recherche, n°48, avril 2012. p.14
8Jn.18,38
9Nicolas Mignerey. Le saviez-vous ? Dossier de La recherche, n°48, avril 2012. p.7
10Jean Guitton, Grichka & Igor Bogdanov. Dieu et la science. Vers le métaréalisme. Paris. 1991. P.52
11Pierre Gardeil. Alors le Bon Dieu, c’est fini ? Ad Solem. p17
12Russ J. Dictionnaire de philosophie. Bordas. 1991. p.23.
13Nicolas Mignerey. Le saviez-vous ? Dossier de La recherche, n°48, avril 2012. p.7

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