C'est pas moi, et pourtant...

    « C’est pas moi !» voilà bien une phrase que l’on entend comme un refrain constant lorsque l’on passe de l’autre « coté du bureau ». Quel professeur ne s’est jamais vu rétorquer suite à une remarque faite à un élève : « c’est pas moi » ? J’ai le souvenir à Marseille, dans les quartiers nord, d’avoir pris en flagrant délit un adolescent brisant une vitre de notre voiture avec une pierre et me dire, après avoir jeté la pierre, droit dans les yeux, bien appuyé sur ses baskets nike : « c’est pas ouam m’sieur ».
    Cela n’est pas anodin. Et le banaliser est assez préoccupant à mon sens. C’est un véritable rapport à la vérité qui est en jeu. Ces jeunes (pas que ceux des quartiers nord de Marseille, ceci les concernent tous) mentent et d’abord à eux-mêmes. Il semble d’abord résider dans cette exclamation comme une sorte d’auto persuasion teintée de déresponsabilisation. « Ai-je vraiment fait cela ? » « Voulais-je vraiment faire cela ? ». Si la volonté est tendue vers le Bien, il lui arrive de s’emmêler quelque peu, et un bien apparent peut prendre la place du vrai Bien. Ainsi, la bonne tranche de rigolade occasionnée par une bêtise bien méditée (voire même pas) peut totalement écraser la sagesse qui inviterait à l’éviter. Soit, la bêtise est une chose, mais en refuser les conséquences en est une autre !
    Il est caractéristique que la première réponse d’Adam à l’accusation de Dieu après la faute est (roulements de tambours et surprise générale) : « c’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre, et j’ai mangé » (Gn 3,12), autrement dit « c’est pas moi, c’est elle » (et même in fine, c’est de ta faute Dieu, c’est toi qui me l’a donné cette femme !). La deuxième conséquence du péché, qui suit la conscience de sa nudité, c’est la perte du courage et de ses responsabilités…
    
    Sommes-nous en train d’engendrer une génération de pleutres ? Le processus semble enclenché depuis la nuit des temps. Devons-nous sauver l’humanité de ce fléau ? Christ s’en est chargé… La Vérité s’enseigne et se montre. Elle ne peut être revendiquée comme étant définitivement possédée, elle est un chemin, une vie. En revanche, je suis à peu près persuadé que si elle n’est pas apprise en ce qui concerne les conséquences de nos actes, nous laissons place à un chaos ante-création. Il en va du service de la vérité en soit, qui est Dieu et dont nous sommes l’image, et de la pratique des vertus (notamment de courage et de justice).

    J’imagine que cela est possible, je crois aussi à l’intervention de la grâce, qui fait des hommes debout et libres. Heureusement, il y a des lueurs d’espoirs : lors d’une de mes interventions, un élève fait une remarque à mi-voix qui fait rire la moitié de classe. Je m’arrête donc, et demande qui a fait cela, m’attendant au traditionnel silence qui suit cette question. Cependant, un jeune homme se lève et dit « c’est moi; mon frère ». Cela lui valut les félicitations pour son courage, d’autant que la remarque était vraiment amusante…

Fr. Etienne, o.p.


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