Ap à St Jn

L’art est une activité et une nécessité spécifiquement humaine. L’homme ne peut y échapper.
Aucun animal ne crée. Il peut nous imiter, répèter nos gestes (ne dit-on pas qu’il nous « singe »… ) mais il ne crée pas. Il n’y a que l’être humain capable de créer un objet qui n’a d’autre utilité qu’un contentement intérieur, et qui tente de combler une aspiration. L’art est humain, naturel, matériellement gratuit et totalement nécessaire. Il n’existe aucune société humaine qui n’ait développé son art propre et particulier.
Pourquoi l’homme a-t-il ce besoin d’art ? Pour le découvrir, il nous faut tenter de définir ce qui constitue l’homme.
Pour certains préhistoriens, ce qui marque l’apparition de l’homme et le différencie à tout jamais de l’animal, c’est la conscience.
Dès notre plus jeune âge, nous avons la conscience du temps qui passe, et que notre existence se terminera par la mort. Même un enfant de six ans sait qu’il va mourir un jour. L’homme est le seul à avoir une notion du temps, qui passe et va de la naissance à la mort. Inéluctable.
Pour conjurer cet écoulement du temps, pour tenter d’apaiser cette peur, pour dépasser cette absurdité que lui paraît être la mort, l’homme a l’espérance d’un Au-delà, la croyance en la survivance de l’âme. Et la faculté de transmettre au-delà de la mort. Qu’à travers ce qu’il crée il donne un prolongement à sa vie.
Et cela met en branle deux facettes de l’homme : la pensée et l’émotion
La nécessaire gestion personnelle  de la certitude de notre mort future se passe principalement par la pensée. Nous conceptualisons notre décès. C’est notre pensée qui nous le permet.
Mais c’est par nos sens et par nos émotions que nous percevons le décès des autres, c’est cela qui nourrit notre pensée. C’est cela qui nous pousse à tenter de trouver une solution pour nous même, qui nous aide à dépasser le concept (c-a-d la pensée ) de la mort.
Si pensée et émotion sont les composants de notre conscience, il est normal qu’ils soient les composants de ce qui est conséquence de notre conscience : l’art et la religion. D’où l’accent mis par exemple par Benoit XVI sur la complémentarité entre raison et foi et non pas un antagonisme artificiel.
Pour me borner à l’Art, Henri Charlier artiste et penseur catholique du début du XXe siècle disait : « Pour qu’il y ait œuvre d’art, il est nécessaire qu’il y ait à la fois la pensée et l’émotion »
Nous connaissons tous le résultat du déséquilibre.
D’un côté, la pensée seule, l’art conceptuel où la pensée est tout, l’œuvre n’est rien, l’émotion absente. Prenons par exemple la « fontaine » de Duchamp : vous aurez du mal à trouver la moindre émotion. Et l’on sent bien une incomplétude.
De l’autre, l’émotion seule, les impressionnistes par exemple, qui se contentent de tenter de capter un moment , une émotion fugace sans laisser l’esprit intervenir. Et l’on sent la même incomplétude. On ressent la superficialité du travail.

L’émotion et la pensée doivent dialoguer, s’affiner l’un l’autre pour nourrir l’œuvre d’art.
Aussi le discours tant entendu aujourd’hui : « moi je le sens, j’ai pas à expliquer » est faible. Vous avez bien entendu le droit de ne pas aimer telle peinture, tel art, telle œuvre. Mais s’il vous plaît, en votre for intérieur, tachez de répondre : « pourquoi est-ce que je n’aime pas cette œuvre ? » Et si vous le pouvez faites l’effort d’aller plus loin encore. « Pourquoi dans sa pensée ? et Pourquoi dans l’émotion qu’elle me procure (ou non ) ? »
Vous verrez peu à peu s’affiner votre perception double (pensée, émotion) des œuvres. Et vous vous apercevrez que plus vous faites cet exercice plus vous aimerez l’art simplement parce que vous le comprendrez mieux à force de plus finement le percevoir.
C’est tout le mal que je vous souhaite.
N’oubliez jamais que l’homme marche sur deux pieds : la pensée et l’émotion. Elles sont spécifiquement humaines et ce sont elles qui, liées, nous permettent d’entrer dans la finesse de la perception de la vie et de la mort… et de l’art.
François Peltier

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