Education de la conscience


La proposition peut sembler équivoque: nous autres éducateurs, avons nous pour mission de former la conscience? Instruire, cultiver, soit. Exercer le corps, également. Mais comment aurions-nous la prétention de pénétrer dans le sanctuaire de la conscience de nos jeunes, où, par définition, il est seul à seul avec Dieu?

Nous n'éduquons pas la conscience du jeune: nous l'éduquons à la responsabilité de sa propre conscience.

Ainsi, nous nous retrouvons face à des situations pour le moins déroutantes. De jeunes gens adoptent des comportements nocifs, souvent des comportements de groupe, brimades, jeux humiliants, où la conscience est comme mise en veille, la responsabilité personnelle diluée dans la responsabilité du groupe. Et quel désarroi, quand, une heure, ou une minute après leur avoir enseigné une vertu ou un bien moral, et avoir reçu d'eux le témoignage assuré qu'ils l'ont bien compris et qu'ils y adhèrent, on voit des jeunes gens commettre en actes l'exact inverse de ce qui vient de leur être expliqué! 

Que la leçon de morale, le pesant "sermon", infligé à nos jeunes têtes les ennuient et qu'ils l'écoutent d'une oreille avec la "pensée de derrière" qu'ils n'en tiendront de toutes façons jamais compte, soit. Mais que faire quand on voit ces jeunes gens adhérer pleinement à un précepte, de tout leur cœur et de toute leur intelligence, et faire l'exact inverse le lendemain?

Parmi les multiples facteurs qui peuvent expliquer les incohérences de nos élèves - et les nôtres - qui font que nous ne faisons pas ce que nous disons et que nous ne disons pas ce que nous faisons, il en est un sur lequel je voudrais tout particulièrement insister: le groupe.

On connaît les effets de groupes, les mouvements de foules, au sein desquels notre conscience semble comme diluée. C'est l'instant où tout bascule, et où un bouc-émissaire sera subitement exclu, violenté, humilié par une foule dont chacun des membres pris individuellement ne serait jamais passé à l'acte. Sur cela passons.

Je voudrais parler plutôt du groupe constitué, où une minorité pense pour les autres et annihile la conscience personnelle de chacun. Ce peut-être l'esprit de promo. Ou l'esprit du lieu : disons-le, "l'esprit Saint-***". L'adhésion à un certain nombre de "traditions" qui n'en sont pas. Ce peut être aussi l'appartenance à une classe, à un milieu (par exemple, le milieu "bon catho"), à un groupe dont les membres partagent les mêmes idées (animaux, écolo, ...) qui nous protège de notre faiblesse personnelle. Et j'assiste parfois, professeur et éducateur, à des scènes où l'on a l'impression que l'appartenance au "bon" groupe effacerait la méchanceté des actes individuels.

Abolir les groupes et tomber dans la fragmentation ? Je ne dis pas cela. Et je ne sais pas même si c'est possible, pour l'animal politique  (zoôn politkôn) qu'est l'être humain. Le groupe nous dit ce que nous sommes, il nous renforce, nous protège : il n'est pas mauvais en soi. Mon but ici n'est pas non plus de favoriser la haine de soi. Mais ce groupe est constitué de personnes, qui sont, chacune, pourvues d'une conscience, et qui en ont la responsabilité. J'entends: la responsabilité de la former, de l'écouter, et non de la faire taire, de se décharger sur autrui de ses choix.

Je voudrais donc dire aux jeunes dont nous avons, à Saint-***, la responsabilité pour trois années: aimez votre "groupe", mais sachez y adhérer par votre volonté, et, le cas échéant, vous dissocier de lui lorsque vous voyez que vous allez trahir votre conscience.

Et je voudrais en outre dire tout particulièrement aux jeunes chrétiens parmi nos élèves qu'ils héritent d'un système doctrinal particulièrement riche, structuré et cohérent - à la différence de ceux qui n'héritent que de vagues valeurs mal définies, d'une morale fondée sur du sable mouvant, de multiples injonctions contradictoires parmi lesquelles il est difficile de s'y retrouver - et qu'adhérer à ce vaste système à la fois spirituel et moral les engage personnellement: si vous y adhérez, vous devez l'incarner. Et non par un "pharisaïsme" qui vous ferait croire que vous êtes meilleurs que les autres. Non par une victimisation à la mode (toutes les communautés aiment à se sentir victimes, en ce moment). Par votre vie personnelle. On vous attend au tournant, et on sera d'autant plus exigeant avec vous que vous prétendez suivre les pas du Christ. Voyez cette exigence d'un bon œil: elle veut dire que le monde, sans le savoir, attend beaucoup des chrétiens. L'adhésion à ce "groupe", je veux dire l’Église, n'est pas la dilution de votre personne, qui vous ôterait vos responsabilités, au contraire: l'Eglise exige un travail sur vous-mêmes, qui passe par l'humilité et par la force.

Magister

(Notes prises puis retravaillées lors d'une conférence, en octobre 2020, de Dom Monfort de Lassus, éducateur au lycée de Pontlevoy ). 

 


Commentaires