Qu'est-ce que la culture?

"C'est quoi, la culture?" Question posée par une enfant de six ans.

Réponse donnée: c'est tout ce que l'on a besoin de savoir pour devenir un grand.

Voici, avec les mots simples adaptés à l'enfance, la réponse la plus précise et la plus exacte possible. À condition bien entendu de respecter dans la culture sa métaphore agricole, c'est-à-dire se situer dans la perspective de l'humanisme cicéronien, selon lequel on devient un homme complet en faisant l'acquisition d'un certain nombre de savoirs dans le domaine des arts, de la littérature, des sciences, etc.

Le terme culture est bien sûr polysémique; on parle aussi de la culture d'un pays, d'un peuple ou d'une nation ; mais les deux désignent en fait la même chose: on forme l'être humain en le cultivant selon un modèle d'humanité ; on le conforme alors à la culture de sa nation.

C'est, disons le au passage, sur ce modèle cicéronien que se fonde notre système scolaire, du Moyen-Âge jusqu'à aujourd'hui. Pour les élèves qui se demandent pourquoi on leur enseigne le carré de l'hypothénuse, le prétérit, l'accusatif, ou l'anacoluthe, l'on répondra que cet apprentissage, si abstrait, des sciences et des arts qui fonde notre école, n'est pas du travail, mais du loisir, schola en latin désignant le temps libre, c'est-à-dire le temps gratuit qui n'est pas consacré à la vie publique, mais à l'étude ; et que toutes ces connaissances servent leur culture générale, c'est-à-dire ce qui leur permet de devenir des êtres humains complets. Il n'est pas question ici "d'avoir un bon métier" ou que sais-je. 

"cicéronien"... je ne veux pas faire le cuistre en faisant du name-droping érudit. J'expliquerai donc pourquoi je fais référence au grand orateur latin. Notre humanisme, notre conception de la culture, sont un héritage de Cicéron: polir l'humain par les bonae artes. La démonstration de Cicéron peut être trouvée, par exemple, dans le Traité des devoirs (De Officiis): je la retracerai à grands traits.

Qu'est-ce que l'honestum, l'honnête? Par ce terme, Cicéron reprend un terme grec kalon, le "beau moral". La beauté morale, c'est vivre selon la nature ; vivre selon la nature, c'est vivre les vertus. Voici pourquoi: La nature, pour l'homme, c'est la vie en société. Ainsi, tout ce qui va dans le sens du bien commun (communis utilitas), c'est-à-dire ce qui est bon pour tous et chacun, est naturel. Justice, amabilité, libéralité sont des vertus, et sont naturelles. Endurer des souffrances pour aider autrui est donc plus naturel à l'homme que chercher le confort, le plaisir ou la solitude. A contrario, accroître son bien en lésant le bien d'autrui est contre-nature.

L'enjeu de l'éducation est éminemment moral. Tout notre enseignement, la transmission du savoir, doit conduire à rendre vertueux, c'est-à-dire capable de choisir le bien commun. Ce sont l'erreur, l'ignorance (et ce paramètre que Cicéron ignorait et qui se nomme péché) qui nous poussent au vice: l'enseignement c'est la recherche de la vérité, c'est-à-dire la lutte contre l'erreur et contre l'ignorance. L'on me répondra : "admettons que la littérature, les langues, la philosophie, l'histoire, poussent à la vertu, même si je ne suis pas sûr que vous convaincrez une certaine frange du monde de l'enseignement d'aujourd'hui... mais les mathématiques, la physique et la chimie, les sciences naturelles?" -- Ces dernières sont peut-être les plus vertueuses des matières! ce sont les matières de l'émerveillement, celles qui prouvent la capacité - la propriété - de l'homme à s'émerveiller aux phénomènes de la nature, face à l'observation de l'infiniment petit ou de l'infiniment grand, face à la beauté des théorèmes.

MAGISTER


Robert Rauschenberg, Tracer, 1963 (huile sur toile et écran de soie, 213 x 152 cm. Kansas City, Nelson Atkins museum of Art)

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