Aux désobéissants

A ceux qui désobéissent en conscience, invoquant à tout bout de champ la croyance d'être "en dictature", je dirais, comme Platon, dans le Criton :

" Il faut, quand la patrie se fâche contre vous, lui céder. On doit ou bien la convaincre, ou bien faire ce qu'elle aura ordonné et subir, sans tergiverser, tel traitement qu'elle a prescrit de subir."

"Faire ce qu'aura ordonné la cité ; sinon, la convaincre de la nature véritable du droit." 

" N'est-ce pas une impiété de faire violence, ou à son père, ou à sa mère: serait-elle moindre, quand c'est la patrie qui en est victime?"

La posture du rebelle, de l'anarchiste au monarchiste, du gauchiste au contre-révolutionnaire, est confortable pour celui qui veut se soustraire à ses responsabilités civiques ; accuser l'Etat d'être en contradiction avec des valeurs supérieures, une morale universelle (et sur certains points, il l'est effectivement) pour le rejeter tout entier, et s'arranger - je veux parler des mensonges quotidiens, des tricheries auxquelles ils se livrent en bonne conscience. Se sentant dans leur bon droit en se soustrayant aux Lois - supposées injustes - il enfreignent, justement, la morale universelle dont ils se réclament. C'est une école d'immoralité et d'égoïsme.*

Les Lois disent à Socrate (Platon, ibidem): 

"Nous t'avons engendré, élevé, éduqué, nous t'avons fait part, à toi comme à tout le reste des citoyens, de l'ensemble des biens dont nous étions à même de vous faire part..."

Ce sont nos lois qui nous font libres, éduqués, protégés socialement et du point de vue de la santé; les lois protègent également nos corps, nos biens. Nos lois nous font libres, également, de partir si nous ne nous plaisons pas sous leur joug. Ces lois sont effectivement saintes, notre premier devoir est de nous y conformer. Si elles causent l'injustice, c'est que la méchanceté de certains hommes s'en sert pour de mauvaises raisons et dans un sens détourné, perverti ; ce n'est pas leur fait. Si malgré tout il s'avère que des lois soient fautives, alors notre devoir est de prouver qu'elles le sont. Prendre la parole, tant que l'on peut, et dire, sans peur, le Vrai.**

On répliquera que cette vision est philosophique, un peu trop abstraite, peut-être: et il est vrai que l'on rencontrera plus facilement quelqu'un prêt à la loyauté absolue à l'égard des liens du sang, et en même temps, prêt à tous les petits arrangements pour se soustraire aux devoirs dus à la Cité. Les liens familiaux, ou "raciaux": voilà ce qui semble sacré - de manière instinctive ; l'amour sacré de la patrie, le primat accordé à l'administration de la Cité, des lois et du droit, primat supérieur aux attachements familiaux, ont quelque chose de l'élaboration intellectuelle, voire littéraire.

Il n'en reste pas moins que les Lois font notre quotidien, sûr, libre, tranquille, en paix ; nous nous engageons personnellement envers elles. Transgresser les lois c'est fragiliser la Cité entière : c'est faire du tort à ceux à qui nous devons le moins en faire: à nos proches, à nos amis, à nos concitoyens, à la patrie, à l'humanité. 

MAGISTER


* quelle tristesse, par exemple, d'avoir vu de "bons pères de familles" se faire un faux passe sanitaire, offrant l'image à leurs enfants de la légitimité du mensonge, de la tricherie et de la fraude. Education à l'incivisme, en somme, et au vice. Ils mettent la désobéissance en exergue, eux qui veulent apprendre à leurs enfants à obéir. Que ce type de comportement ait été monnaie courante dans des milieux où l'on attache un grand prix à la vertu dans son acception la plus traditionnelle me laisse perplexe. 

** le recours à la violence, dira-t-on? Recours légitimé par la violence de l'Etat, ou de l'état des choses? ou encore le recours à la clandestinité, etc. Comment prouver que l'exercice légitime de la violence soit devenu illégitime, quels sont les critères objectifs? Alors, à ceux qui ont le mot "Résistance" sans cesse à la bouche, il convient de rappeler que les Résistants avaient, eux, des critères objectifs pour estimer l'injustice de la situation (exercice injuste d'une violence guerrière - invasion - illégitimité de l'état français, ayant perdu son autorité, sa légitimité et sa souveraineté) afin justifier leur action, clandestine et violente. Légitime défense, recours à un mal (dérogation au "tu ne tueras point"), devenu nécessaire quand s'abstenir d'agir devient un pire.


Luigi Russolo, La Révolte (1911) - huile sur toile - Kunstmuseum Den Haag



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