Exégèse d'un lieu commun: "et maintenant, chantons la gloire de Dieu"

Je m'adresse aux prêtres.

Les vacances ont cela de profitable qu'elle permettent, au gré des déplacements, de voir un peu hors de nos paroisses et de nos habitudes, comment se fait la messe là-bas. On constate des différences notables ou des constantes bien enracinées. Parmi celles-ci, le besoin de présenter, de commenter, d'expliquer.

Prenez telle paroisse. Mot d'accueil, mot de bienvenue, prononcé par des laïques ; accueil du prêtre, avec une "monition" qui prend parfois la longueur d'un sermon, puis au moment des lectures, explications préalables des textes du jour. Parfois, un commentaire de texte avant chaque lecture; et surtout, chaque partie de la messe marquée par un commentaire, des paroles inventées, parfois sous l'inspiration du moment, par le prêtre. Parmi d'autres ce simple, mais significatif, commentaire, "Et maintenant, chantons la gloire de Dieu".

D'où vous vient, amis prêtres, cette tendance à faire des commentaires, à commenter les lectures, les parties de la messe, à ajouter des mots, des phrases, hors de toute indication liturgique? D'où vient qu'il soit devenu un réflexe à beaucoup d'entre vous de ne pas entonner, simplement et purement, sans autre chose que quelques secondes de silence après le kyrie, "Gloire à Dieu au plus haut des cieux", ou "Gloria in excelsis Deo", mais de dire "et maintenant, chantons la gloire de Dieu"? Pourquoi ce commentaire, au parfum si prononcé de And now, ladies and gentlemen...

Cela semble tellement naturel... Ça l'est, en effet, mais dans une émission de télé ou dans une réunion conviviale. Vous n'êtes ni des présentateurs, ni des "Monsieur Loyal", ni des hôtes conviant leurs invités à un banquet. Votre rôle est autre.

Examinons les causes et les conséquences de cette tendance.

Les causes : j'imagine que vous avez à cœur de rendre accessible la liturgie. De la rendre compréhensible. D'adopter un langage qui soit audible par les gens d'aujourd'hui. Vous avez peut-être, également, envie de rendre convivial ce qui est aussi un repas, une réunion fraternelle, et qu'à travers vos paroles chaleureuses puisse passer l'attention à l'autre, l'amour, la charité du Christ, dont vous voulez être le porteur.

Les conséquences: elles sont multiples, et in fine ne rejoignent pas les causes qui vous poussent à adopter un tel comportement langagier, mais au contraire, flanquent tout en l'air.

  1. Vous boursouflez la messe, vous lui donnez la forme d'un interminable bavardage.
  2. Vous donnez à la messe l'aspect d'une réunion conviviale, et, étouffée par le flot de paroles, vous faites oublier que la messe est une action.
  3. En expliquant sans cesse, en voulant faire preuve de pédagogie, vous donnez aux fidèles l'impression que vous les prenez pour des enfants. Vous en faites des assistés liturgiques. Nous avons envie d'être pris pour des adultes. 
  4. Peut-être croyez-vous qu'il faille parler aux enfants comme à des enfants, dans l'espoir de les fidéliser plus tard. C'est une triste erreur: les enfants ont besoin qu'on leur parle comme des adultes, pour devenir, à leur tour, des adultes. En rendant la messe mi-puérile mi-barbante, il la délaisseront une fois adulte, comme tout adolescent se trouve bien content d'enfin en finir avec ce qui est puéril et barbant. C'est bien une triste et pathétique erreur, plongeant malheureusement très profondément ses racines dans les croyances des fidèles et des prêtres d'une certaine génération, et qui ne semble pas vouloir, encore aujourd'hui, en finir avec la pédagogie, avec les chants infantiles, avec l'installation de hideux panneaux. Si vous voulez séduire les enfants, désignez-leur l'en-haut, ne vous abaissez pas à leur niveau. Ils ont besoin de grandir, croyez mon expérience de père et de professeur.
  5. Si la messe a besoin d'être expliquée, si les gestes et les paroles ne se suffisent pas à eux-mêmes, cela donne la fâcheuse impression que quelqu'un ici doute de la messe. Le Missel est-il si incomplet qu'il faille y rajouter des paroles? Quelle confiance accordez-vous au Missel, c'est-à-dire à l'Eglise?
  6. Vous rendez la messe inintelligible. Une personne qui ne connaîtrait pas la liturgie retirerait de ce qu'il verrait et entendrait dans ce genre de "messes expliquées", qu'un flot interminable de paroles.
  7. Vous désacralisez la messe. La messe doit rester une action sacrée, et ne pas devenir une réunion conviviale. Les "jeunes", vous savez, ne sont pas idiots: s'ils veulent des réunions conviviales, ils ont leurs concerts, leurs soirées, bien moins ennuyeuses que vos messes-expliquées. L'impression qu'ils retirent est que vous cherchez à mimer les réunions conviviales, avec une maladresse et une faiblesse de mise en place qui ne supporte pas la comparaison: à ce jeu-là vous perdez à tous les coups. Par contre, un acte sacré, aux gestes augustes, aux chants beaux, aux mouvements hiératiques, cela ne se rencontre pas partout, et loin de faire fuir, attire, attire vraiment, croyez ma parole de converti.
  8. Puisque ces commentaires, hors de tout missel, sont inventés par vous-mêmes, cela va créer une différence entre les messes ; les commentaires des uns seront plus inspirés que ceux des autres ; on crée la tendance à choisir ses messes pour le prêtre avec les très nocives conséquences de la "starification", cléricalisme dangereux pour le prêtre lui-même et pour les fidèles qui l'adulent.* 
  9. Starification: la personnalité du prêtre finit par voiler le Christ. On vous voit vous agiter, on vous entend bavarder, on ne voit plus Celui pour qui on était venu.
La messe a besoin d'être faite, d'être dite ; chacun de vos commentaires met à distance. C'est comme les panneaux que l'on ajoute dans les pièces de Brecht, pour créer l'effet de distanciation: celui qui les voit n'y croit plus.

Dépossédez-vous de vous-mêmes, amis prêtres. Ayez confiance en l'Eglise: le Missel se suffit à lui-même, vous n'en êtes que l'humble serviteur. L'homélie exceptée, cessez vos commentaires, même les plus géniaux, pendant la messe. Réservez-les à vos conférences, à vos entretiens. Pendant la messe, vous n'êtes plus vous-mêmes.

MAGISTER


* Avant que les dernières traces de l'ancienne modalité liturgique disparaissent, puisque telle semble être la volonté du Pape, allez assister à l'une de ces célébrations. Avec un pince-nez s'il le faut. Vous verrez un prêtre absolument préservé du phénomène de la star, du présentateur télé, ou du gourou. Il n'a rien à inventer, il n'a rien à prouver: il dit les paroles, il fait les gestes. Ces messes que l'on accuse de pousser au cléricalisme en sont en fait le meilleur antidote. A moins bien sûr que vous ne vous complaisiez dans ce rôle d'animateur de banquet... je vous laisse avec votre examen de conscience.



Paul Klee (1879+1940), L'homme est la bouche du Seigneur (Der Mensch ist der Mund des Herrn), 1921, huile sur toile, Strasbourg, Musée d'art moderne et contemporain




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