Notre modernité en bref

Première étape de notre modernité. La "Réforme", la grande brisure du XVIe siècle: la discorde qui traverse l'Europe, les guerres fratricides - il a fallu trouver un moyen de rétablir la paix. 

Le moyen trouvé: une progressive relégation du religieux dans la sphère privée ; laisser à la raison humaine le soin de tout organiser: la politique, l'économie, la société, la morale. 

Conséquence: toute norme pré-établie, tout dogme, passe au crible de la critique; le bien et le mal sont eux-aussi évacués, remplacés par l'utile et le nuisible. La notion de Bien commun est annulée, remplacée par celle d'Intérêt général.

L'Eglise continue d'être, avec en face d'elle une "modernité" qui l'interprète comme une consolation, une aliénation, une maladie psychique... le magistère essaie de se défendre, tente de désigner l'ennemi, en nommant ce phénomène sous plusieurs vocables: modernisme, naturalisme, matérialisme, etc. C'est le XIXe et le début du XXe siècle.

La "modernité" (continuons à appeler ce phénomène sous ce nom insatisfaisant) tente de trouver des solutions de remplacement à cette institution qui régulait non seulement la morale, mais aussi et surtout l'élan spirituel propre à l'humanité, qui ne peut se satisfaire de sa condition et de ses limites et cherche inlassablement ce qui est au-delà de lui-même - j'ose dire que c'est dans sa nature: je ne constate que des faits. 

Ces solutions de remplacement que la "modernité" a recherchées peuvent être identifiées: le progrès technique, le progrès scientifique, la nation, la race, l'humanité (foi en l'homme), le parti, etc. Elles ont toutes montré leurs limites, elles ont toutes déçu; déception généralisée qui a mené à une sorte de nihilisme. 

Dans cette humanité dont on ignore où elle va, la religion est passée de la catégorie des dogmes à celle des opinions. La sécularisation déferle et s'amplifie avec une telle vigueur qu'il n'est plus possible au chrétien que d'envisager que trois voies possibles :

1. adapter sa foi au monde, et la diluer, en faire un humanisme, et la perdre;
2. faire le tri dans le christianisme, prendre certains dogmes, en laisser d'autres;
3. se replier sur le dogme.

Ceux qui ont entamé la démarche 1 l'ont presque tous achevée et sont devenus invisibles, ont quitté l'Eglise, n'ont pas transmis la foi à leur enfants. La démarche 2 est aujourd'hui majoritaire dans l'Eglise, c'est celle des chrétiens qui piochent dans la foi transmise par les Apôtres au gré de leurs préférences, au risque, au mieux, de la tiédeur, au pire, de l'hérésie (qui est un mot qui d'ailleurs ne les concerne plus) ; la démarche 3, celle d'une minorité, encourt le risque du purisme, du sectarisme, de la dureté, du pharisaïsme, etc. Elle vit en vase-clos et cherche avant tout à préserver, conserver, défendre...

Dans les trois cas, ce sera un processus d'invisibilisation. Nous sommes dans une position curieuse: nous vivons la situation des premiers chrétiens, communautés isolées dans une société païenne, sans avoir d'eux la naïveté d'une communauté naissante - nous avons derrière nous, et parfois sur le dos, les traces encore très visibles de la majesté passée.

Magister

Pierre Soulages (mort en 2022)


Commentaires