Conseil de saint Benoît : fuir la rigidité, varier sa manière d'agir

 Lisons un autre passage de la Règle:

"Dans ses enseignements, l'Abbé doit suivre la forme donnée par l'Apôtre dans ces paroles: 'Reprends, supplie, menace'. Ainsi, il doit varier sa manière d'agir selon les moments et les circonstances, joignant les caresses aux menaces, montrant tantôt la sévérité d'un maître, tantôt la tendresse d'un père. Ainsi encore, il doit reprendre plus durement ceux qui sont indisciplinés et turbulents, tandis qu'il lui suffira d'exhorter à faire de nouveaux progrès ceux qui sont dociles et patients. Quant à ceux qui sont négligents ou dédaigneux, nous l'avertissons de les réprimander et de les corriger."

saint Benoît (480+547), Règle, II, traduit du latin par Dom Guéranger

Retenons, éducateurs & pédagogues, la leçon de Benoît de Nursie. Transposant ces conseils, qui concernent l'Abbé du monastère, aux professeurs, nous verrons qu'en autorité, il ne faut pas se limiter aux solutions faciles, aux méthodes uniques et invariables, aux formules applicables à tous ; l'être vivant n'est pas une abstraction. L'enseignant devra faire connaissance avec ses élèves, être un fin connaisseur des caractères et des tempéraments.

Saint Benoît identifie donc trois catégories, comme trois grandes tendances:

1. les indisciplinés & turbulents (indisciplinatos et inquietos) ; conseil: les reprendre durement (durius arguere).

2. les obéissants et les doux (obedientes et mites); conseil : les encourager (ut melius proficiant obsecra)

3. les négligeants et les méprisants (negligentes et contemnentes); conseil: les réprimander et les corriger (ut increpet et corripiat)

Ces lignes ont beau avoir été écrites au VIe siècle, l'enseignant d'aujourd'hui aura reconnu certains profils toujours d'actualité... 

La première catégorie est celle des enfants remuants, qui obéissent à leurs impulsions. Moins régis par leur raison que par leur sensibilité, c'est en touchant leur sensibilité qu'on les reprendra. Avec eux, l'enseignant parlera fermement, clairement, sans méchanceté. Les jeunes qui appartiennent à ce groupe ont besoin que l'autorité soit palpable, manifeste. 

La seconde catégorie est plus aimable à manier. Les doux n'ont pas besoin d'être brusqués; il serait même contreproductif de le faire: là est le danger ; les secouer trop durement reviendrait à les perdre. Ils ont plutôt besoin d'être encouragés. Le danger possible avec les obedientes et mites est leur silence, leur passivité... l'enseignant dont la pédagogie se fait maternelle excelle avec ces profils.

A la troisième catégorie appartiennent ceux que Benoît appelle les "négligents et les méprisants". Leur comportement insoumis, leurs paroles corrosives sont dangereux pour l'atmosphère de la classe, car ils exercent une influence nocive: ils embarquent avec eux les jeunes dont la personnalité est plus sensible, donc plus vulnérable, et prompte à être séduite: ceux de la première catégorie. 

Les turbulents, les placides, les rebelles: on n'enfermera pas nos élèves dans des catégories: considérons-les comme trois grandes tendances: apprenons à connaître nos élèves, et surtout, aimons-les, quels qu'ils soient.

Magister

P.S. Les responsables ou les chefs d'équipe auront reconnu eux-aussi, je pense, ces trois profils: les "remuants", c'est-à-dire les émotifs, les inquiets, les bruyants: ils sont inoffensifs tant qu'il sentent l'autorité, quand celle-ci assure un cadre rassurant. Les "doux", c'est-à-dire les calmes, les placides: les chefs seraient tranquilles s'ils n'y avaient que ceux-ci... mais le danger est l'engourdissement général, le manque d'initiatives, la paralysie ou la paresse. La troisième catégorie est celle des râleurs, de ceux qui distillent le venin lors des conversations de machine à café, qui contestent, qui se montent la tête entre eux... mieux vaut les avoir à l'oeil et leur rentrer dedans de temps en temps. Le bon chef ne craindra pas une impopularité passagère.



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