calligraphier l'invisible

 



Et le Verbe s’est fait lettres…

« Les signes n’ont de sens que par leur place » disait le grand philologue Benveniste, voilà bien une sentence qu’un calligraphe doit garder en tête lorsqu’il tient, le plus habilement possible, son calame ou sa plume. L’écriture patiente et laborieuse le plonge dans la contemplation de ce qu’il cherche à donner par son art. Ce n’est pas une simple copie, activité monastique traditionnelle, cette calligraphie se situerait plutôt du côté de l’enluminure. Il s’agit de faire concorder la forme et le sens des mots. Un vieil adage dit que « les lettres sont des signes qui transforment la matière en esprit », la calligraphie vise opérer cette transformation. 

Il s’agit de donner au verbe toute sa puissance figurative. Lui donner toute sa puissance par la figuration elle-même. Les mots permettent d’atteindre des réalités qui les dépassent. C’est par le biais du symbole qu’ils y parviennent. Les « trace(s) » que forment les traits des lettres permettent de créer un « écart » avec la réalité pour nous en faire voir la profondeur. Ces mots nous donnent accès à la face cachée du monde, pour cela il faut parfois prendre le monde à rebours (« écart » n’est jamais que « trace » inversée…). 

Pour cela il faut que la forme des lettres, leurs tailles, leurs couleurs, leurs dispositions les unes par rapport aux autres, … donnent à voir le mystère dit par ces mots. Que les mots ne parlent plus uniquement par leur sens, mais aussi par leurs aspects. Curieux projet, à une époque comme la nôtre où l’on voit passer des millions de signes normalisés par des machines, de prendre (perdre ?) le temps de tracer des lettres, une à une, après avoir médité ce que l’on veut écrire. C’est livrer une part de sa contemplation sous une forme autre que la parole. C’est donner à contempler par un autre biais que directement l’intelligence spéculative, mais par le fructueux détour de l’imagination et de l’intelligence pratique. C’est peut-être aussi dire ce que parfois une abondance de mots ne peuvent contenir.

C’est tout ce travail que représente cette calligraphie en tête d’article. Une trace, qui créer un écart, qui soulève même la feuille sur laquelle ces mots sont écris, et cet écart donne à voir des signes indéchiffrables, donne accès à une part du mystère. 

Tout cela au service de la prédication du Royaume, car de toute façon comme le dit le psalmiste « ma langue est le roseau d’un scribe agile… » (Ps 44).

calligraphie et texte de Fr. Etienne, o.p.


Commentaires