Exégèse d'un lieu commun: "on n'est pas obligé d'y aller à chaque fois"

Un professeur de l'enseignement catholique, obsédé et irrité par ce qu'il perçoit comme une dérive identitaire et/ou intégriste chez un certain nombre de lycéens, voit d'un mauvais œil que des élèves aillent à la messe le mercredi, à 7h30. Il est vrai que les cours commençant à 8h15, certains retards causent des agacements, et ne peuvent qu'en causer: les deux vocations de l'école catholique, ecclésiale et pédagogique, ne devraient pas entrer en conflit: le respect des temps prévus, la ponctualité, est un moyen de respecter ces deux missions. Mais, dans le discussion que j'ai eue avec cette personne, elle a eu cette parole:

"Sont-ils obligés d'y aller à chaque fois à cette messe?"

Nous ne pouvons juger de ce qui a lieu dans l'intériorité. Nous ne pouvons témérairement juger la qualité de la Foi de chacun : nul ne sait; Dieu le sait. Mais ce genre de cris du cœur sont néanmoins des aperçus inquiétants de ce qui se passe, ou ne se passe pas, dans la vie intérieure de notre prochain.

Il y a un sens des priorités, une logique de la foi chrétienne, qui est à expliciter. La messe n'est ni une récompense, ni un passe-temps, ni même un but: elle est la source. Source de notre Rédemption, de notre vie éternelle. C'est en elle que nous puisons nos forces. La messe est le Sacrifice, l'acte des actes, ce qui nous sauve, le moyen par lequel nous sommes divinisés. L'autel est l'intersection entre le monde humain et Dieu. Nous ne serions pas obligés d'y aller à chaque fois que l'on peut? Précisons: nous ne sommes pas obligés, en effet, nous le voulons, nous le désirons, comme des affamés et des assoiffés qui savent que ce n'est que là que notre faim sera rassasiée et notre soif étanchée! Si ce n'était l'épuisement et le surmenage de nos curés de campagne, qui empêchent qu'elle soit dite à 7h tous les jours, nous y serions, nous devrions y être, quotidiennement.

Il y a une dérive de forme quiétiste qui nuit à cette considération: "je m'abandonne, j'accepte tout"; silence et inaction; tout ce qui vient en plus, bruit ou acte, n'est pas de Dieu. Tout va bien quoi qu'on fasse: cela éloigne du culte et des sacrements.

Il y a aussi la dérive pélagienne, plus fréquente, ou du moins plus visible: être chrétien, ce sont avant tout les œuvres. Mon action fait de moi un chrétien. Cela éloigne tout aussi bien du culte et des sacrements: si je suis bon j'irai au Ciel - en somme, je forcerai Dieu à m'accueillir...

L'intérêt des hérésies est que dans la manifestation de la dérive, devient davantage perceptible la ligne au-delà de laquelle ce n'est plus la foi; et les contours de la vraie foi se trouvent ainsi plus nettement dessinés. Ici, entre foi, culte, œuvres, nous pouvons établir la logique, je dirais: la hiérarchie.

D'abord la Rédemption, qui passe par le Sacrifice; celui-ci est renouvelé en permanence sur l'autel: d'abord le culte, d'abord la prière. Ensuite: découlant d'elle, l'action, les "bonnes œuvres", comme réponse à l'Amour de Dieu. Mais c'est Lui qui nous aime le premier. "Tu aimeras Dieu et ton prochain" : non pas tu aimeras ton prochain et Dieu. Pas d'action pure, qui ne s'enracine d'abord dans le culte. Qu'ils aillent à la messe, donc: c'est vital si l'on veut espérer qu'une vie puisse être chrétienne, en actes.

Bien sûr, je comprends la critique du professeur évoqué plus haut: ces élèves, ont-ils conscience de ces considérations ici résumées? Souvent la réponse n'est pas visible, et parfois c'est le contre-témoignage qui l'est. C'est le risque du pharisaïsme. On peut à bon droit me rétorquer que cet idéal ici décrit n'a pas été pensé par des jeunes qui missalisent pour affirmer une identité, trop humaine.

Une nouvelle fois, je dirai : qui peut juger l'intériorité de ces jeunes? Certains adoptent un comportement décourageant, j'en conviens tout à fait. Mais n'est-ce pas en allant à la messe plutôt qu'en n'y allant pas qu'ils auront le plus de chances de comprendre ce qu'elle est et ce dont elle est la source?

Magister

Harald Oskar Sohlberg, Nuit d'hiver dans les montagnes (1904)


Commentaires

  1. Un beau plaidoyer pour la messe. On note l'introduction très accrocheuse et la conclusion efficace, un bon sermon en somme ^^

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