"Les raisons de notre confusion". Discours prononcé lors de la remise des diplômes de bac 2022

Discours prononcé face à un auditoire d'anciens élèves de terminale ayant obtenu le grade de bachelier en 2022.

Je voudrais vous faire part de ma confusion. Je rougis, en effet, de vous revoir... Quand vous étiez nos élèves, il n’y avait pas de quoi rougir, du moins pas de confusion ; il fallait vous inciter, vous convaincre, vous critiquer, vous écouter, vous pousser, vous enthousiasmer, vous bousculer, vous accompagner, vous suivre, vous fuir… en somme vous enseigner.

Mais aujourd’hui, revoir vos figures familières, et déjà différentes, cela a de quoi nous rendre confus. Nous vous prenions pour des enfants et pour nos élèves ; vous voir parmi nous ne faisait pas de doute : vous y étiez obligés. Obligés d’être là à l’heure, obligés d’être là en cours… et maintenant vous voilà adultes – libres, autonomes, indépendants, responsables … - et vous venez chez nous, vous revenez chez nous, pour la première fois, sans y être obligés ! Vous nous faites un honneur : qu’après les contraintes auxquelles vous avez été soumis, vous reveniez nous voir, librement et peut-être avec une pointe de nostalgie, il y a de quoi être touché.

Précisons : il y a de quoi rougir à la pensée que vous vous souviendrez de cette maison un peu comme vous vous souviendrez de la vôtre. Il y a de quoi être confus de penser que nous faisons partie, aujourd’hui, et pour jamais, de vos souvenirs, que nous sommes pour vous une sorte de référence, un repère, un morceau de votre enfance. Et, pour assumer une métaphore géologique qui fera plaisir à M. R..., de toutes les couches sédimentaires de votre mémoire, de toutes les strates de souvenirs qui se sont accumulées et qui s’accumuleront, nous sommes parmi les strates d’en-dessous. Des strates que l’on oublie ? Peut-être, mais aussi de celles qui sont les plus profondes : nous sommes celle sur laquelle toutes les autres vont venir s’ajouter. 

Au risque d’alourdir mon propos, je tenterai de filer une nouvelle métaphore. Vous avez habité chez nous pendant 3 ans. Et voici que nous habitons chez vous, dans votre mémoire, dans votre imaginaire, à vie. Peut-être que, dans la demeure de votre mémoire, vous nous consacrerez une pièce richement ornée, ou une petite chambre  douillette et coquette, ou peut-être une cave sombre et humide ou un placard à balais mal rangé… mais quel que soit la pièce que vous nous consacrerez, nous habitons chez vous pour la vie. Je suis vraiment confus, ayant cela à l’esprit, pour tous les conflits, pour le mépris ou les méprises, pour les moments où nous ne vous avons pas assez parlé, pas assez écouté, en un mot : pas assez aimé. Pour toutes les fois où nous n’avons pas été dignes de ce beau nom de chrétien que nous avons le front d’assumer, ici.

Mais, en vous voyant à nouveau, réunis en ce lieu, pour cette remise de diplôme qui n’est en réalité qu’un prétexte pour vous inviter, j’ose croire que vous éprouvez ce brin de nostalgie, ce petit pincement au coeur, qui est le signe que vous avez, tout de même, passé de bonnes années dans ce lycée, cette maison que vous avez habité et qui à présent vous habite.


S. Morassut, mars 2022, Lycée Saint-*** de ***

Gabriel Sainz


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