Du temps "ordinaire"

 Du temps « ordinaire »

par P. Etienne Harant, o.p.

Le fête de la Pentecôte marque la fin du temps pascal. Et ce temps exprime dans notre année l’accomplissement des mystères du salut opérés par le Fils en notre faveur. Or l’envoi de l’Esprit Saint se fait dans le but d’appliquer à notre nature humaine ce que le Christ nous a obtenu. Une fois cela célébré, il ne reste plus qu’à attendre le retour du Christ…prochain rendez-vous donc, le Christ-Roi. Ça fait un peu long…Nous voici entrés dans le « temps ordinaire ». 

Ce temps serait comme un temps qui prend son temps. A la différence de l’Avent, le temps ordinaire ne pense pas ce qu’est le temps, il le fait vivre. En effet, l’Avent est enserré par les célébrations du retour du Christ (Christ-Roi, et la nativité qui appelle le second avènement). Ainsi, l’Avent nous pousse naturellement à une réflexion sur le temps, puisqu’il en évoque la fin (les textes de la liturgie avant le Christ-Roi, sont très marqués par les discours et les prophéties eschatologiques). Il s’agit donc de penser à ce qu’est le temps et pourquoi il nous est offert par Dieu. 

Or, le temps ordinaire ne cherche pas à le penser, mais bien plutôt à vivre le temps. En évitant de polariser ce temps par aucune fête (à la différence de l’Avent et du Carême), le temps ordinaire n’a d’autre finalité que lui-même. C’est du temps pour le temps, si l’on peut dire. Et cela prend un sens renouvelé à une époque comme la nôtre. Notre temps vit une oppression du temps. Nous en manquons sans cesse parce que tout s’accélère. Et le temps ordinaire vient signifier à notre vie intérieure que nous avons besoin de la banalité d’un quotidien, sans l’extravagance des fêtes. Un quotidien qui use parfois certes, mais comme un rabot qui fait une belle poutre plutôt qu’un peu de beurre étiré sur une tartine trop grande (comme dirait Bilbo Sacquet…). 

Nous sommes plongés dans le temps et nous n’avons aucun moyen d’en sortir. La seule chose qui ne passe pas dans le temps : c’est qu’il passe… On ne peut arrêter cette course. Le génie du calendrier liturgique, c’est de l’avoir compris, et intégré. Le temps ordinaire, c’est la prise en considération du temps qui passe dans notre vie intérieure. Du temps qui permet en nous le déploiement de l’œuvre divine. Car nous avons besoin de temps pour comprendre, en les vivant, les grâces que Dieu nous a fait. Les anges, eux, ne vivent pas dans le temps. Ils comprennent en un instant tout ce qu’ils ont besoin de savoir. Nous, en revanche, nous sommes un peu plus lents à la détente…il nous faut parfois même des années pour comprendre ce que Dieu a fait dans notre vie, voire ce qu’il continue à réaliser. 

On ne peut mépriser cette créature (ni aucune autre d’ailleurs) sortie de l’imagination divine, qu’est le temps. En Gn 1.3, lorsque Dieu crée la lumière et qu’il la sépare des ténèbres, il crée en réalité du changement, de la succession, ce qui n’existe pas en son être éternel, il crée donc le temps ! Condition première d’un monde qui lui est distinct. C’est notre condition la plus fondamentale, et que nous perdons de vue du fait de son omniprésence. Le mode de vie effréné qui devient le nôtre, nous ramène à l’esprit cette créature qui peut devenir oppressante. Or, Dieu nous a bien confié toute la création, et cela inclue le temps ! Ce n’est pas un ennemi, mais un allié, à apprivoiser ; comme nous avons fait du loup féroce, un chien d’aveugle. 

Alors, ce temps ordinaire peut être une très bonne occasion d’apprendre à redompter le temps, pour en faire un vrai lieu de sanctification. Puisque nous avons besoin de lui pour apprendre à recevoir les grâces reçus et faire grandir notre désir de voir Dieu. 

Alors prenons le temps du quotidien, pour une sainteté ordinaire. 


Arkhip Ivanovitch Kouïndji, Архип Іванович Куїнджі (1841 + 1910), Après la pluie. Galerie Tetriakov, Moscou


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