Les mauvaises consciences de l'enseignement catholique

 


C’est la rentrée, le temps de parler école et je voudrais dire le mal qui ronge l’enseignement catholique : le poison de la mauvaise conscience. Ou plus précisément des mauvaises consciences, car elles sont de plusieurs sortes.

Il y à d'abord la mauvaise conscience de celui qui, étant dans l’école catholique – c’est-à-dire un lieu d’Eglise – en refuse la doctrine, et doit se livrer à de multiples contorsions, mentales et morales, pour vivre avec.

Mauvaise conscience de celui qui ignore cette même doctrine : l’indifférent ; il sait pourtant, au fond, que l’Église possède une pensée, une philosophie, une spiritualité, une anthropologie et une morale d’une richesse incomparable, constituées et enrichies à travers les siècles ; mais il a anesthésié sa conscience – et vit comme si tout cela n’existait pas.

Mauvaise conscience de celui qui a opté pour l’enseignement catholique afin d’échapper aux « zones », aux « quartiers ». Celui-ci a peut-être d’intimes convictions généreuses pour le démuni, pour l’étranger, qui le taraudent et nuisent à sa sérénité intime, car il a fui le démuni et l'étranger, voudrait bien l'aimer mais à préféré l'éviter.

Mauvaise conscience de celui qui a opté pour l’enseignement catholique pour échapper au système – soviétiforme, il faut bien le dire - de mutations actuellement en vigueur dans l’enseignement public. Son engagement dans l'enseignement catholique tient à ce seul fil: avoir davantage de liberté de choisir le lieu où il travaille. Fil ténu, engagement famélique. Il a privilégié le confort et sacrifie le sens.

Mauvaise conscience aussi de ceux qui refusent la mission enseignante de l’Église et qui affirment, pour surmonter leur dilemme intérieur, la nécessité de masquer autant que possible les références au religieux, ou qui proposent des sortes de cours d’instruction religieuse « inclusive » (sic – formule réellement entendue), où est prêchée l’idée que A est égal à non-A, par esprit de fausse tolérance mais de vrai relativisme, aboutissant, au nom d’un prétendu « pluralisme » à de réelles incohérences logiques, et violentent la pensée, en plus de violer la loyauté à l’égard de celui qui lui a confié cette mission.

Mauvaise conscience, finalement, qui finit par exploser, de celui qui n’accepte pas que la pensée de l’Église n’entre pas en conformité avec ses propres convictions libérales ou individualistes. On en arrive à des cas d’enseignants qui en viennent à haïr les familles des élèves accueillis dans ces écoles – pour leurs mœurs, leurs opinions, leur classe. Une haine traduction, finalement, de la haine de soi, qui sourd de la discordance mortifère entre leurs convictions et le milieu professionnel dans lequel ils évoluent. Tragique constat – ce que je dis, je l’ai vu – de professeurs qui en viennent à détester l’école, le collège ou le lycée dans lequel ils exercent et n’osent pourtant le quitter.

Mauvaise conscience aussi du catholique fervent, qui découvre que des établissements où il lui est donné d’enseigner, les plus catholiques sont aussi ceux qui attirent le plus de jeunes aisés, jeunes blasés – qui font peu de cas des vertus chrétiennes, de leur splendeur, et de leur exigence.

Mauvaise conscience du chrétien qui pense à la part de la pensée sociale de l’Église qui dit l’option préférentielle pour les pauvres. Comment ne pourrait-il ressentir une tension entre cette option et cette école de la reproduction sociale, de l’entre-soi – même s’il s’en défend. L’école du pauvre ne peut être que l’école gratuite, pourtant, il le sait.

Mauvaise conscience de celui qui se raconte des histoires. Il se croit au service du pauvre ; il prétend que son école est éloignée de tout élitisme. Il est vrai qu’on se rassure en se disant qu’on trouvera toujours plus élitiste que soi. Alors, on pense aux écoles qui profitent du pouvoir de ne pas renouveler le contrat annuel avec les familles pour raccompagner à la sortie les trop faibles scolairement et se prévaloir de flatteuses statistiques ; celles-là seront toujours plus élitistes que celles-ci, qui gardent jusqu’au bout leurs élèves, mais qui eux-mêmes ont été triés au départ, au moment de la candidature ; elles, elles le sont davantage que celles qui n’ont pas le bonheur de disposer d'une liste d’attente, et qui inscrivent tous les candidats… mais même l’entrée dans celles-ci correspond au passage par un tamis, celui de l’argent, et un tri a bien lieu, silencieux mais réel: le tri des familles elles-mêmes, qui devant la porte à péage de l'école catholique, passent leur chemin.

Plutôt que de la mauvaise conscience, on le voit, il faut parler des mauvaises consciences dans l’enseignement catholique d’aujourd’hui, tant elles sont de natures diverses ; c’est un poison qui en paralyse – silencieusement – les membres ; je ne vois comme solution à ce problème qu’une prise de conscience chez ses acteurs de la nécessité salutaire de trouver son alignement : l’alignement de ses convictions profondes, de ses actes, de ses paroles et du choix libre de son milieu professionnel. Les discordances et les incohérences sont un poison, lent mais très dangereux pour les personnes elles-mêmes, et pour les institutions dans lesquelles elles évoluent.

MAGISTER

Lucien Levy-Dhurmer (1865+1953), Le Silence (1895) - Paris, Musée d'Orsay

Commentaires

  1. Quel dommage de voir ainsi les choses en creux et de scruter ainsi les consciences ! Quel étrange glissement de rôles : "L’Éternel sonde les reins et les cœurs. " /"Vous êtes le sel de la terre"...
    Le lien à Dieu n'est pas une équation mathématiques et il ne se transmet pas à force de raisonnements, de démonstrations et de belles paroles. Il se transmet en "étant", en laissant, de notre mieux, malgré notre condition de pauvres humains englués dans nos péchés, transparaître les rayons du Saint Esprit dont nous sommes le temple.
    Une jeune fille, élève infirmière, a un jour entendu cette remarque d'une patiente ; "vous êtes différente des autres". Elle était précisément en train de prier en son for interne tout en assurant son soin.
    Une mère de famille catholique s'est vue demander d'où lui venait sa force...
    L’Église a commencé petitement, et les Évangiles nous montrent des apôtres bien souvent obtus et pétris de défauts. Et pourtant...
    Et si l'école catholique était un vecteur pour conduire ces enseignants et ces élèves vers Dieu. Un graine semée au Hasard (nom que Dieu prend quand Il veut voyager incognito) des rencontre. Cela peut ne rien donner sur le moment, mais à l'heure de Dieu, la graine peut germer. Simplement parce que sur la route de cette personne il y aura eu un priant. Quelqu'un de véritablement habité par Dieu qui, tout en vivant, riant, s'amusant, travaillant... aura fait simplement en étant lui-même à sa place d'enfant de Dieu. Et l'on se souviendra de ce bon camarade ou de ce collègue, pas le dernier à plaisanter, rire et s'amuser, devant qui il était impossible de poser certains actes, de tenir certains propos, et avec qui on se sentait si bien.

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  2. Merci, Parvula, pour votre beau commentaire.

    D'accord avec vous sur l'idée que "le lien à Dieu" se transmet "en étant", "en laissant de notre mieux (...) transparaître les rayons du Saint-Esprit". Je constate justement que les professeurs / élèves / parents d'élèves qui se trouvent en état de mauvaise conscience, parce qu'obligés à de multiples contorsions mentales et morales ou amenés à se mentir à eux-mêmes, se retrouvent en difficulté pour être de transparents véhicules de l'Esprit.

    Et peut-être que, comme vous dites, les paroles comptent peu, et que seul compte notre "étant", mais quand vous avez des professeurs, au sein même de l'Ecole Catholique, qui professent un discours ouvertement, explicitement et farouchement anti-chrétien, il se peut, éventuellement, qu'en leur for intérieur il pensent le contraire, mais je me permets de penser que leurs blasphèmes ne sont pas la traduction d'une sainteté dissimulée. Citation contre citation: "on reconnaît l'arbre à ses fruits". Je ne sonde pas les coeurs: je constate, tout simplement, une discordance entre les paroles et les actes, entre l'idéal professé et l'existence concrète. Ce ne sont pas les coeurs que je sonde: je vois les actes, j'écoute les paroles, j'observe les situations. Et ce n'est pas l'Esprit que j'ai vu transparaître à travers les visages crispés et les paroles haineuses de certains de mes collègues.

    J'en reviens à ma conclusion: il n'y a que la cohérence (vie privée, vie publique, affect, intellect, convictions) qui nous permettent d'être alignés, d'être ajustés, et, finalement, abandonnés à Dieu pour pouvoir, enfin, être des instruments entre Ses mains.

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