vieux suint et suc tiède

"Depuis de longues années déjà, en France, la religion macère dans une mixture de ce vieux suint janséniste que nous n’avons jamais pu éliminer et de ce suc tiède que les jésuites nous injectèrent, dans l’espoir de nous guérir. Hélas ! Le remède n’a pas agi et ils ont ajouté à un desséchant, un déprimant. Le bégueulisme imbécile, la peur de notre ombre, la haine de l’art, l’incompréhension de tout, l’inindulgence pour les idées des autres, nous les devons aux disciples de Jansénius, aux appelants. La passion des dévotionnettes, la prière sans liturgie, la suppression des offices soi-disant compensés par de grands saluts en musique, le manque de nourriture substantielle, le régime lacté des âmes, c’est des pères de la compagnie de Jésus que nous les tenons. Les idées de ces irréconciliables ennemis ont fini par se fondre dans nos âmes, en cet étrange amalgame d’intolérance sectaire et de pieusarderie féminine dans lequel nous nous désagrégeons."

Joris-Karl Huysmans, L'Oblat


Commentaire.

Au-delà de la verve et du plaisir de l'invective qui caractérisent ces lignes, et qui entrent pour une bonne part dans les raisons qui nous ont conduit à ce choix d'extrait, il reste que les deux défauts que Huysmans prend pour cible, et qu'il attribue, commodément et injustement (dans le style pamphlétaire on est toujours injuste), aux influences jansénistes et jésuites - contradictoires mais alliées de circonstance - ces deux défauts, donc, me semblent observables, aujourd'hui encore, au sein du peuple chrétien avec d'un côté, ce que nous pourrions nommer le moralisme et de l'autre, le subjectivisme. Le moralisme fait de la religion chrétienne et des inspirations évangéliques un code comportemental, voire un projet socio-politique. Je nomme subjectivisme tout ce qui rend sucrée et mièvre notre religion, comme par exemple les assemblées où l'on accorde une large place à la sensiblerie et à l'auto-célébration, les chansonnettes, les prières "personnelles" où l'on se regarde soi plus qu'on ne regarde Dieu et qu'on se laisse regarder par Lui. D'un côté l'ordre moral, de l'autre la religion émotionnelle ou thérapeutique (je me fais du bien). Il nous semble que nous touchons ici à l'un des aspects de la crise de l'Eglise, car l'enjeu évangélique est celui de l'approfondissement et du dépassement. 


Hugo Simberg, Kuoleman puutarha (1896). Helsinki, Ateneum.


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