et surtout la santé

….et surtout la santé !


C’est bien la période, à chaque fois que l’on rencontre quelqu’un, notre salutation s’empresse de se conclure par l’expression de nos vœux pour cette nouvelle année (ce que je m’empresse de faire pour les lecteurs de ce blog par la même occasion !). Et parmi les formules, refrains, automatismes (mantras ?), bien souvent répétés, le vainqueur invaincu est bien entendu « …et surtout la santé, c’est le plus important ! ». C’est bien un automatisme qui rend justement malade…


Il n’y a pas de mal à se souhaiter la bonne santé, bien sûr, l’inverse serait pervers. Ce qu’il y a de surprenant dans cette formule, c’est d’en faire le sommet des souhaits offerts, la bénédiction suprême. Vous allez me dire que le Christ lui-même a passé une bonne partie de son ministère à guérir, à redonner une bonne santé. Et le mot « salut » en français et un dérivé du latin qui signifie également « santé ». Certes, cela est plus que vrai. J’attire juste l’attention sur la place que cette sacro-sainte santé semble prendre. 


Je note d’abord que le Christ ne guérit pas tous ceux qui lui sont présentés, et c’est encore le cas…tous ceux qui espèrent une guérison à la Grotte de Lourdes (ou ailleurs) ne sont pas systématiquement exaucés. Ces guérisons ne sont pas le fruit d’une mécanique technique médicale. Elles ont une finalité. Et c’est la seconde remarque : dans la majorité des guérisons qu’opère le Christ dans les évangiles, cet acte est une occasion de rencontre. Le malade manifeste sa foi, qui lui est compté comme justice et le Christ le guérit. C’est donc avant tout une expression de la foi dans le Fils de Dieu. Ce qui est d’abord visé semble donc plutôt une santé spirituelle. La maladie sert d’image au péché, même s’il s’agit de vraies guérisons. 


Se souhaiter la santé par-dessus tout semble être une intrusion du monde dans nos pensées. J’ai même eu comme caricature en la matière « et surtout la santé, parce que sans elle on ne peut rien ! » Elle a donc été littéralement divinisée. Quand ce souhait vertigineux me fut adressé, cette parole du Christ m’est immédiatement venue en tête : « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15.5). Vraiment, sans la santé on ne peut rien ? A vue humaine, on est beaucoup moins efficace lorsque l’on boîte que lorsque l’on court. Mais ce qui compte (éternellement) ce n’est pas l’efficacité ni la vitesse, c’est d’être sur le bon chemin (« il vaut mieux suivre le bon chemin en boîtant, que le mauvais d’un pas ferme », S. Augustin). Combien de saints ont montré la fécondité de leurs vies tout en ayant une santé déplorable ! On s’incline encore avec respect et admiration devant S. Damien de Molokai mort lépreux parmi les lépreux. 


Ce qui semble à peine se cacher derrière cette santé vénérée, c’est ce désir de bien-être, de tranquillité. C’est un désir à peine voilé (et qui a déjà meurtri notre monde) de vouloir faire de nos sociétés un paradis terrestre, sans douleurs, sans larmes et même sans mort…Cependant, avoir foi dans le Christ devrait nous mettre à l’abris de ce rêve de coton. Nous ne cherchons pas spécialement les adversités (encore que, je recommande la poignante « Prière du parachutiste » d’André Zirnheld), mais nous ne les craignons pas et en plus nous savons qu’elles peuvent être fécondes dans nos vies ! Contrairement à ce que pensait Nietzsche, le christianisme n’est pas un dégoût et une lassitude de la vie envers la vie, et l’autre vie lui servant d’un masque à la haine de celle-ci et de l’aspiration au néant. C’est que cette vie ne répond pas à toutes les aspirations de la Vie. 


« Seigneur, dont l’esprit est si bon et si doux en toutes choses, et qui êtes tellement miséricordieux que non seulement vos prospérités, mais les disgrâces mêmes qui arrivent à vos élus sont les effets de votre miséricorde » ainsi commence la prière de Blaise Pascal « pour demander à Dieu le bon usage des maladies ». Certes, le jansénisme du philosophe mathématicien peut rebuter, mais la doctrine fondamentale du bon usage des maux ne manque pas de justesse. 


« Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. » (I Co 16.19). En se souhaitant avant tout la santé, c’est bien de cela dont il est question. C’est n’avoir foi dans le Christ que pour cette vie. C’est échanger le salut (santé) pour ici-bas contre le salut éternel…


Car ce que l’on souhaite, et ce que l’on doit se souhaiter les uns aux autres, et cela au plus haut degré, c’est la sainteté pour cette nouvelle année (et les suivantes). La collecte du formulaire de messe pour une nouvelle civile dit : « Seigneur Dieu […] nous te confions cette année qui commence : donne-nous de la passer dans l’abondance de tes biens et dans le rayonnement d’une vie sainte ». Ce qui est premier c’est bien cela, la sainteté, et ce n’est pas incompatible avec l’absence de santé (l’histoire de l’Eglise regorge d’exemples qui semblent même plutôt indiquer que l’absence de santé peut quelque peu aider à la croissance d’une vie sainte…). Il est un « bien-être » (père de la santé) de notre monde qui asphyxie nos élans vers le ciel, en nous plaquant dans un canapé douillet. « Nous ne sommes pas fait pour le confort, mais pour la sainteté » disait Benoît XVI.

Que le Seigneur nous comble de ses grâces et qu’il fasse de nous les saints dont le monde a tant besoin !
Bonne et sainte année ! 

Fr. Etienne, o.p.


Viktor Alexandrovitch Liapkalo, Вечер удался (la soirée fut un succès) (autoportrait).


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