Les Homais de l'Eglise

 De Flaubert, Madame Bovary

"Bournisien l'interrompit, répliquant d'un ton bourru qu'il n'en fallait pas moins prier.

-- Mais, objecta le pharmacien, puisque Dieu connaît tous nos besoins, à quoi peut servir la prière?

-- Comment! fit l'ecclésiastique, la prière! Vous n'êtes donc pas chrétien?

-- Pardonnez, dit Homais. J'admire le christianisme. Il a d'abord affranchi les esclaves, introduit dans le monde une morale..."

Il est significatif que Flaubert ait mis dans la bouche de l'imbécile pharmacien, le progressiste voltairien imbu de lui-même, scientiste, prétentieux et conformiste, de tels arguments. Celui de gauche, comme on dirait aujourd'hui (le christianisme a affranchi les esclaves), celui de droite (il a introduit dans le monde une morale). Car réduire le christianisme à une morale, c'est bien ce travail de sape auquel se livrent tous les Homais de l'Eglise d'aujourd'hui, de droite et de gauche, à faire de la mission du chrétien le fait de donner son opinion sur l'avortement, sur la contraception, sur la bioéthique, sur l'écologie, sur la question de la pauvreté, sur celle des migrants, ou encore sur l'Histoire pour y déceler les signaux d'un hypothétique progrès moral qui justifierait la nostalgie de la chrétienté, ou au contraire pour n'y voir qu'une succession sanglante de crimes au nom de la religion.

Le cléricalisme, voilà l'ennemi, disait le journal anticlérical "La Lanterne" jadis, et aujourd'hui, le Pape. Si par "cléricalisme" l'on entend la définition stricte du dictionnaire, à savoir l'idéologie ou l'attitude adoptées par les partisans de l'influence du clergé dans la vie sociale et politique, la gauche de l'Eglise aujourd'hui ne rachète pas sa droite, et inversement. Car ce n'est ni en idolâtrant le patrimoine ou le bon vieil ordre moral, ni en voulant à tout crin mettre en haut des priorités de l'Eglise le soin des migrants, des pauvres et de l'environnement, que l'on sortira du "cléricalisme". On y est en plein, et ce ne sont pas les dernières encycliques vaticanes ni les derniers synodes qui nous en font sortir.

La seule, l'authentique mission de l'Eglise sur Terre est de communiquer le Christ, dont elle est le Corps mystique; la priorité des priorités, dans le désordre frénétique du monde actuel, c'est d'offrir à tous ces orphelins spirituels, et ces âmes naufragées la possibilité de goûter, en silence, une demi-heure par jour, la douceur de la présence de Dieu, gratuitement, inutilement. C'est là le vrai trésor de l'Eglise, ou plutôt sa raison d'être ; le reste, passe ensuite. 

MAGISTER


Un "monstre" décrit par Pline l'Ancien. Extrait de la Chronique de Schedel (Nuremberg, 1493)


Commentaires