Doctrine sociale

Quand nous aurons quitté cette vie, alors seulement nous commencerons à vivre: cette vérité, que la nature elle-même nous enseigne, est un dogme chrétien. Sur lui repose, comme sur son premier fondement, toute l'économie de la religion. Non, Dieu ne nous a pas fait pour les choses fragiles et périssables, mais bien pour les choses célestes et éternelles; ce n'est point comme une demeure fixe qu'il nous a donné cette terre, mais comme un lieu d'exil. Que vous abondiez en richesses (...) ou que vous en soyez privé, celle n'importe nullement à l'éternelle béatitude; l'usage que vous en ferez, voilà ce qui importe. Par sa surabondante rédemption, Jésus-Christ n'a point supprimé les afflictions, qui forment presque toute la trame de la vie mortelle, mais il en a fait des stimulants de vertu et des sources de mérite; en sort qu'il n'est point d'homme qui puisse prétendre aux récompenses éternelles s'il ne marche sur les traces sanglantes de Jésus-Christ. (...) Ainsi, les fortunés de ce monde sont avertis que les richesses ne les mettent pas à l'abri de la douleur, qu'elles ne sont d'aucune utilité pour la vie éternelle, mais plutôt un obstacle (Mt 19:23, 24); qu'ils doivent trembler devant les menaces inusitées que Jésus-Christ profère contre les riches (Lc, 6:24-25); qu'enfin, il viendra un jour où ils devront rendre à Dieu, leur juge, un compte très rigoureux de l'usage qu'ils auront fait de leur fortune.

Léon XIII, Rerum Novarum

 

Commentaire

L'époque où les fins dernières faisaient encore partie de la pédagogie explicite de l’Église... et ici, leur vrai et utile usage, celui d'alerter les riches. Non que nous nous faisions beaucoup d'illusions sur l'efficacité d'un tel discours sur les profiteurs et les accapareurs ; mais enfin! si l’Église pouvait assombrir et teinter d'amertume, un peu, un tout petit peu, la jouissance débridée des arrogants, non pas, comme elle le fait aujourd'hui, en leur donnant des leçons de morale, mais en les avertissant sur le sort - très incertain - de leur âme, et sur les très graves dangers qu'ils encourent... 

Ce qui attend les fauteurs de guerre, les démagogues dépourvus de morale, les tyrans et les génocidaires, les empoisonneurs d'eau, d'air et de nourriture, et d'une manière générale, tous ceux qui jouissent sur les tortures, les larmes et le sang des malheureux, voilà ce que devrait expliciter, à leur intention, un pape. 

Or, un pontife affirmant d'un côté: « Une personne qui veut construire des murs et non des ponts n'est pas chrétienne* », et de l'autre: « J'aime penser que l'enfer est vide ; j'espère qu'il l'est »**, par la deuxième assertion vide de tout impact la première, ou plutôt la ravale au rang de leçon de morale. Par ce "n'est pas chrétienne" le Saint Père a-t-il voulu dire "n'est pas gentille", ou plutôt "est en grave danger de mort éternelle", "sera jugé sévèrement par Celui qui s'est fait le Pauvre (Mt 25)"? 

Parlons de façon simple et directe: l'Eglise est répandue à travers le monde pour prêcher l'Evangile; prêcher l'Evangile, c'est expliquer à chacun comment on va au Ciel. Et, tout à fait d'accord pour dire qu'il ne faut pas accabler miséreux et malheureux d'un nouveau fardeau, fait de menaces et de condamnations, comment ne pas exiger par ailleurs que le spectacle de l'arrogance effrontée de ceux qui labourent leur dos nous fait supplier, mendier au bon Dieu une justice prompte et sans pitié? C'est cela aussi, l'espérance! deposuit potentes de sede ; exaltavit humiles***.

La sombre théorie de l'Enfer vide tue l'espérance, l'espérance de voir un jour la promesse que le Seigneur dépose, enfin! les puissants de leur trône et exalte les humbles. Et nous renvoie au ressentiment, à la haine comme seuls exutoires, puisque nous voilà forcés de devoir exiger la justice ici-bas et ne jamais la voir advenir, puisque à jamais il semble devoir être établi que pour un riche orgueilleux abattu, il en restera toujours cent qui s'en iront, au terme d'une vie sereine et bien remplie, ricanants et repus du sang des autres.

Alors, oui, il y a bien dans les mots de Léon XIII, une vision doloriste digne de la "vallée de larmes"****, avec cette image du monde comme "lieu d'exil" et celle de la marche vers les "récompenses éternelles" "sur les traces sanglantes de Jésus-Christ"; et je sais bien que les mots ont changé. Et pourtant, que ce soit au niveau moral, politique, international, environnemental ou social, comment nommer les choses d'aujourd'hui autrement que par l'expression 'une vallée de larmes'? Que pouvons-nous être d'autres, que gementes et flentes****, gémissant et pleurant? Toute autre joie que la joie du Ressuscité, n'est qu'une joie suspecte, frelatée, car issue du périssable, de l'égoïste et probablement du malheur d'autrui.

Ainsi, puisque, de François à Léon XIV, l'Eglise semble avoir une bonne fois décidé que c'était par la doctrine sociale qu'on allait parler au monde, pourrait-on ne pas passer sous silence, s'il-vous-plaît, que la justice rendue au pauvre passe par l'avertissement sérieux lancé au riche orgueilleux, avertissement fondé non sur la jalousie ou le ressentiment, non comme une leçon de morale, mais comme un réel souci pour le Salut de son âme, une réelle inquiétude pour celui que l'on voit se damner sous nos yeux ? Qui tremble, d'une frayeur terrible, de voir son prochain se damner?

Oh! Que l'Eglise, le Pauvre, l'affamé de Justice se rappelle les mots de David:

Sur la tête de ceux qui m'encerclent, que retombe le poids de leurs injures !

Que des braises pleuvent sur eux ! Qu'ils soient jetés à la fosse et jamais ne se relèvent !

L'insulteur ne tiendra pas sur la terre : le violent, le mauvais, sera traqué à mort.

Je le sais, le Seigneur rendra justice au malheureux, il fera droit au pauvre.

Oui, les justes rendront grâce à ton nom, les hommes droits siégeront en ta présence. 

(psaume 139)


Magister

 

* Pape François, 18/02/2016

** Pape François, émission de télévision "Che Tempo Che Fa", janv. 2024.

*** Magnificat

**** Salve Regina

 

 


 

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