Réponse à un ancien élève

 Quelle chance de recevoir des lettres d'anciens élèves... Un de mes articles sur la lecture a fait réagir ; Un certain J. a en effet pris le temps de me livrer ses impressions de lycéen, assez conflictuelles, sur la lecture, et met en relief une tension dont j'ai omis de parler dans l'article en question, celle qui existe entre lecture "scolaire" et lecture "plaisir". Il a accepté que je publie son texte, et je rends également publique ma réponse dans la suite.

 

Bonjour monsieur,

J'ai beaucoup aimé votre écrit sur le choix d’un livre, étant donné que le choix de ma future lecture est en général la question que je me pose à la fin de chaque livre. En essayant d'éviter de relire un livre : si on relit toujours les mêmes livres, on n’en découvre jamais de nouveau.
 
Je me souviens de mes années de collège et lycée à Lectoure. Je me souviens aussi des cours de français parfaitement inintéressants, qui nous demandaient de lire des livres dont le style n'était tellement pas ‘français’ par rapport à l’écriture et l’oralité d’aujourd’hui - si bien que les lire me dégoûtait. Être obligé de lire un livre qu’on n’aime pas, nous fait détester l’auteur, et c’est là le fond du problème.

Certains pourrai dire je n'aime pas lire, ou que je ne fais pas d'effort. Mais au contraire j'aime lire, j'aime la fantasy. Au lycée, je devais lire un ou deux livres par semaine, je pense que les surveillants doivent s’en souvenir. Le problème est que je ne pouvais pas demander à un prof de français un conseil de lecture: ils ne lisent pas de fantasy, et la majeure partie du temps, ils méprisent cette forme de lecture, car elle n'entre pas dans les 'hautes lectures' comme pourrai l’être du Voltaire, Rousseau, Saint Exupéry...

Or même si ce style de lecture a pour but de nous faire imaginer, rêver, on peut aussi apprendre avec. Si on veut apprendre l’essentiel de la mythologie Grecque, lisons Percy Jackson, si on veut la fusionner avec celle Romaine, lisons la suite, Les Héros de L’Olympe. Une grande partie des livres de fantasy ont une inspiration Nordique, le concept de Berseker est un des plus récurrents par exemple. Des mots qu’on a tous entendus comme les Walkyries par exemple, se retrouve dedans. Concept repris par le cinéma, comme les Marvel.
 
En me basant sur ce site : https://www.babelio.com/,  Harry Potter est 3e et le seigneur des anneaux 4ᵉ. Aucun des livres lu au collège-lycée n’apparaît dedans, à l’exception peut être du journal d’Anne Frank pour certains. En regardant de ce point de vue-là, je ne comprends pas pourquoi la fantasy n’a pas sa place dans les écoles. Je ne dis pas que les écrits de Voltaire, Montesquieu, et autre soient inutiles, je dis juste que je ne comprends pas l’importance qu’on leur donne. Et pourquoi on nous pousse dessus. J’étais en filière S, je n’aimais pas le Français, et je ne comprenais pas l’utilité de cette matière, du temps perdu à mon sens. Pourquoi écrire 2 copies doubles sur un texte pour dire ce que la prof veut entendre... mais bon ce n’est pas le sujet. Récemment j’ai relu du Voltaire, non pas car j’y étais forcé, mais parce que je me suis dit, que faisant partie des livres qu'il est important d'avoir lu, ça serait bien de les lire, et j’ai aimé les lire ! Je pense au Médecin volant de Molière par exemple, il m’a amusé. J’ai relu le Petit Prince, car j’avais entendu plusieurs citations, mais je ne me souvenais plus du livre, etc. (...)

Voilà où je veux en venir. Il faudrait arrêter de vouloir faire lire, pour faire lire. J’aimais lire, j’aime toujours, mais les profs avec leur manière de faire auraient pu me dégouter de la lecture en me faisant lire des choses inintéressantes pour moi à l’époque. Pourquoi ne pas proposer aux élèves des panels de livre de plusieurs styles. Le Seigneur des Anneaux est très bien écrit, si on cherche, on peut retrouver dedans les figures de style qui dynamisent l’histoire.
 
Si à l’époque on m’aurait juste dit, ces livres A, B, C peuvent t’intéresser si tu aimes la fantasy, cette pièce de théâtre est drôle, ça peut t’amuser toi qui aimes les sketchs, et autre, j’aurais foncé! J’ai lu des livres, car des camarades me les ont conseillés, j’ai lu toute une série de livres (Epée de vérité) et c’est une de mes préférés, car le surveillant du collège (M. Boutry) me l’avait recommandé. Il faut nous intéresser, et plus que de nous faire lire 10 livres, 20 livres sur l’année et nous rendre ces auteurs indigestes, il faut nous faire aimer lire. Combien de S, de ES et même de L ont purement et simplement oublié de quoi parlait Gargantua 10 min après le contrôle ? Combien d’entre eux ça a aide de connaitre ce livre? et combien d’entre eux sont pénalisés, car ils n’aiment pas lire, car ils n’ont pas appris à aimer ça?

De mes recherches sur la lecture rapide, on peut arriver a la conclusion qu’on ne sait pas lire, notre apprentissage n’est pas terminé. On en reste au stade ou on prononce les mots dans notre tête, ce qui nous ralenti. Sans lire 100 pages en 10 min, combien d’élèves savent en lire 100 en 1h? (...) Je parle globalement. Il a été prouvé que ce qui ne comprennent pas ce qu’ils lisent, c’est généralement car ils sont trop lents. Avons-nous appris à lire plus vite? Jamais! Combien de temps ça prendrai de simplement faire réaliser aux élèves qu’il n’est pas nécessaire de lire tous les mots, car le cerveau reconstruit l’histoire automatiquement? 1 h de cour? Les encourager dans leur lecture personnelle, même sur un Harry Potter de s’entraîner à aller vite. Quoi de plus décourageant qu’un livre de 100 pages quand on lit à 10 p/h. On en revient à la fantasy: même si les profs peuvent considérer ça comme une lecture de bas niveau, je suis capable de lire aux alentour de 700 mots par minutes, alors qu’un adulte moyen 300, et ça avant de m’entraîner a la lecture rapide, simplement, car j’ai appris a ne pas lire tous les mots, à lire en diagonale, à dévorer l’histoire.
 
Pour en revenir à votre blogue sur comment trouver ses livres, je pense qu’il serait nécessaire d’apprendre aux élèves à aimer les livres, ainsi que terminer leur éducation dans la lecture. Certains peuvent dire qui ce n’est pas au programme, ou qu'il n'y a pas le temps. Mais malheureusement, c'est indispensable et bien plus utile que de lire Dom Juan pour finalement répéter a l’oral du bac une pseudo morale répétée de la prof selon laquelle c’est une satire de l’église et autre bégaiement inutile que dans tout les cas on rattrapera avec les maths.
 
C’est pourquoi je pense qu’il manque quelque chose à votre écrit. La personne qui vous demande conseil est probablement une L (ou équivalent). Même si ce n’est pas sur, je pense qu’il y a 80-90% de chance que ça soit le cas. Votre texte la concerne, car les L on en général appris à aimer lire. Le problème, c'est pour les autres. Vous parlez de choisir, de faire un choix. Il faudrait encourager à lire ce qu’ils aiment pour qu'ils apprennent à aimer lire, puis élargir les horizons. Pourquoi les mangas et les BD sont à ce point délaissé? Une personne qui aime les mangas aura plus de facilité à apprendre le chinois, le japonnais ou l’arabe étant donné qu’il aura appris à lire à l’envers. Certaine BD contiennent énormément de texte, pourquoi considérer que la présence d’image nuit a la qualité de lecture? Pour le choix, il faudrait donner des pistes en fonction de la personne et de ses habitudes de lectures, sans mettre des registres au placard.

Je sais que je suis un peu sorti du sujet, mais je pense que mon propos peut-être intéressant. St Jean possède une chorale, une troupe de théâtre presque tous les ans, pourquoi pas un groupe de lecture, simplement pour s’échanger des livres, pour faire de la promotion de livre dans l'école. Avant de choisir un livre, il faut avoir envie d’en lire un.

Merci de votre lecture

Bon courage dans la gestion du lycée

J.P.

 

Cher J., 

Cette élève n'est pas "une L", comme vous dites, car ces catégories ont plus ou moins explosé avec la réforme. Elle a choisi les spécialités Littérature & Philosophie, Mathématiques & Physique Chimie. Une "scientifique" pourrait-on dire, avec un goût prononcé pour les lettres. Au moins, cette réforme aura permis cela.

Ainsi, J., vous m'avez l'air de sortir de votre scolarité secondaire avec une impression de dégoût... même si, vers la fin de votre lettre, vous semblez avoir conservé un souvenir de vos anciennes lectures de collège, que vous avez récemment réactivées avec, semble-t-il, un intérêt renouvelé. Je pense que nous avons là une première ébauche de solution à apporter à cette fameuse tension entre "lecture scolaire" et "lecture plaisir". 

Je trouve, par contre, à la lecture de votre propos, que ce qui vous a fait défaut, c'est la confiance à l'endroit des professeurs. Vous ne leur avez pas accordé, ou bien il n'ont pas su vous l'inspirer... mais je suis un peu triste, finalement, que vous sortiez du lycée en vous disant que le commentaire ou la dissertation consiste à écrire "2 copies doubles sur un texte pour dire ce que la prof veut entendre..." Non, les professeurs de français n'attendent pas qu'on leur débite un discours préfabriqué ; la dissertation est un exercice de grande liberté, en réalité ; mais il est vrai que les professeurs veulent entendre, ou lire, le propos d'une jeune personne qui réfléchit et qui sait structurer sa pensée. Là est notre mission. Un lycéen a le droit de dire ce qu'il veut d'une œuvre, pourvu que cela soit réfléchi, argumenté, prouvé, et exprimé avec précision. Finalement, une démarche qui ressemble à celle des sciences, n'est-ce pas?

Car notre objectif, en cours de français est "scientifique", au sens où la littérature est une science humaine ; là se situe le nœud du problème : notre objet en  effet n'est pas la lecture plaisir, même si l'on peut éprouver du plaisir à lire un classique ; notre objet est de penser. C'est là que se situe le malentendu. Je suis désolé que vos professeurs de français ne vous aient pas transmis le goût de la lecture: force est de constater, cependant, que ce goût de la lecture, vous l'avez trouvé vous-même. finalement ; et aussi paradoxal que cela puisse paraître, est-ce la mission du professeur de français? Je pense que si vous cherchez une lecture "plaisir", mieux vaut vous tourner vers vous-même, vers vos amis, vers votre famille. La grande affaire du cours de français reste d'apprendre à penser, et de faire, également, l'acquisition de quelques repères importants dans l'histoire de la littérature et dans l'histoire des idées. Alors, certes, nous abordons des lectures qui "résistent". Des auteurs dont la sophistication du style, ou la profondeur de la pensée, peuvent dérouter ou décourager un jeune homme de 16 ans. Vous le dites vous même: "le style n'était tellement pas ‘français’ par rapport à l’écriture et l’oralité d’aujourd’hui". Certes! Mais c'est du français quand même, et du beau! Si nous n'assumons pas cette mission, qui le fera? Le secondaire est le lieu de la culture générale. J'ai beaucoup écrit, ces derniers temps, sur la culture, et son rôle dans la formation humaine - je vous renvoie à ces articles (ici, ici, et ici).

Certains de vos arguments m'interrogent. Vous affirmez d'une part "éviter de relire un livre", posant l'argument suivant: "si on relit toujours les mêmes livres, on n’en découvre jamais de nouveau." Pour cela, je vous renverrai derechef à l'article que vous avez lu, et j'apporterai cette précision: je ne conçois pas la lecture comme une accumulation. Et quand j'écris, afin de provoquer: "lire beaucoup est un vice", je plaisante à moitié: le vice se caractérise par l'accumulation (l'avarice, les conquêtes féminines...) ; le vice n'est jamais satisfait, il inquiète, il agite. Je promeus en tout cas la qualité plus que la quantité en matière de lectures. Peu mais Bon. Et relire, c'est aussi lire: je conseille donc de se constituer une petite bibliothèque personnelle, nourrie de bons livres, dont on sera familier, que l'on savourera, pour le style ou la profondeur de la pensée, et dont on connaîtra des passages par cœur. N'est-ce pas ce que nous faisons avec la musique? Une chanson, ou une belle page de musique classique, ne sommes-nous pas prêts à l'écouter plusieurs fois, parfois même plusieurs fois de suite? Il peut en aller de même pour la littérature.

Vous utilisez par ailleurs l'argument suivant:  "en me basant sur ce site : https://www.babelio.com/,  Harry Potter est 3e et le seigneur des anneaux 4ᵉ. Aucun des livres lu au collège-lycée n’apparaît dedans". Je ne crois pas que la popularité soit un critère suffisant. Surtout pas pour l'école, qui est justement le lieu où l'on alerte les jeunes gens qui nous sont confiés de l'intérêt supérieur qui réside chez certains auteurs que les masses ne lisent pas, ou ne lisent plus. Pourquoi l'école devrait-elle se régler sur Babelio.com? je pense que les utilisateurs d'internet sont assez grands pour se rendre sur ce site. L'école a une autre mission, que ces sites, eux, ne remplissent pas.

Je conclurai donc en vous assurant que nous autres, professeurs de français, n'avons rien contre la fantasy. Que vous ayez lu des dizaines de livres relevant de ce genre dans vos années lycées, bravo! Que vous vous y soyez nourri et enrichi de connaissances sur la mythologie scandinave, bravo également. Je n'ai pas une once de mépris à l'égard de ce genre de lectures. Mais je sais pertinemment d'où peut provenir ce genre d'impression... en effet, si je ne méprise pas ces lectures, j'accorde néanmoins aux choses leur juste place. Et si je peux apprécier une chanson populaire, je l'aime pour ce qu'elle est ; et elle n'entre pas dans la même catégorie qu'un choral de Bach, qu'un madrigal de Monteverdi ou qu'un quattuor de Brahms. J'en fais de même avec la littérature, ou les littératures. Cela indignera peut-être, en ces temps de nivellement où l'on veut tout mettre dans le même sac ; on croira que je hiérarchise ; je pense tout simplement qu'il faut éviter la démagogie, et accorder sa confiance aux classiques. Ils semblent ardus, et ils le sont ; mais l'effort n'est pas interdit.

Pour conclure, je dirai que votre idée de groupe de lecture est très intéressante, je la retiens, car ce serait le vrai lieu où l'on pourrait échanger sur les "lectures-plaisir". Non le cours de français. 

Recevez, cher J., l'assurance de mes amicales salutations.

S.


Un premier article sur la lecture, paru dans Les Cahiers de Saint-Jean en mai 2019 est consultable ici.

Albert Anker, Die Andacht des Grossvaters (1893), Bern, Kunstmuseum.


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